Voici une puissante mise en garde de Saint Augustin. Cette citation est extraite du cinquième livre de ses Confessions, au cours desquelles il retrace son long chemin vers Dieu et sa conversion au christianisme :
« On ne doit pas tenir pour vraie une pensée parce qu’elle s’exprime éloquemment, ni pour fausse parce que les lèvres la traduisent d’une façon dénuée d’art ; de même une pensée n’est pas vraie parce qu’elle est énoncée simplement, ni fausse parce que la forme en est brillante. La sagesse et la sottise sont comparables à des aliments sains ou malsains, et le style, élégant ou non, à une vaisselle précieuse ou grossière : on peut y servir aussi bien les deux sortes de mets. »
En quête de vérité, en proie au doute et confronté à de nombreuses difficultés d’ordre philosophique et théologique, le jeune Augustin espère trouver des réponses auprès d’un certain Faustus. Il a alors vingt-neuf ans et n’est pas encore véritablement converti. Doué dans l’art de la parole, il gagne sa vie comme professeur de rhétorique : ce qui lui confère, de fait, une grande habileté pour distinguer le vrai du faux et ne pas se laisser berner par quelques belles formules. Tout en reconnaissant à Faustus son magnifique langage, son éloquence et sa « physionomie expressive », il n’est pas convaincu par ses thèses, déplorant : « Ceux qui me l’avaient vanté n’étaient pas de bons juges ; ils ne l’estimaient avisé et sage que parce qu’il les charmait par la parole »…
Toutefois, Saint Augustin n’accuse pas l’éloquence en tant que telle. Ce n’est pas parce que de belles paroles peuvent être mensongères, que toutes le sont. A l’inverse, ce n’est pas parce qu’une parole est apparemment simple et directe, qu’une expression semble dénuée de tout artifice et de tout effet de style, qu’elle en est plus honnête – ou moins malhonnête – pour autant. Ce genre de jugement à l’emporte-pièce serait tout aussi bête.
Dans cette citation, il ne s’agit donc ni d’une condamnation ni d’une défense de l’éloquence. Dans tout discours, le degré d’éloquence ou la maîtrise de l’expression orale ne peut être en soi un indicateur d’idées vraies ou d’idées fausses. Il faut simplement veiller à ce que l’éloquence serve au mieux la vérité : les deux peuvent être alliées, et il serait regrettable de sacrifier la première au nom de la seconde.
En illustration de cet article : fresque du peintre italien Sandro Botticelli (1480) représentant le philosophe et théologien chrétien Saint Augustin (354-430)