Nous l’avons souvent répété sur ce blog : le débat est un combat. Du moins faut-il se placer dans cette perspective belliqueuse lorsqu’un contradicteur nous apostrophe et nous prend à parti. Dans cet étrange combat qu’est le débat, les mots deviennent des armes, et c’est pourquoi il faut apprendre à les manier comme on manie une lame tranchante. Une lame affûtée peut tout autant pourfendre l’adversaire que se retourner contre nous si on l’utilise mal…
Quand on s’engage dans un débat, il faut donc avoir l’esprit guerrier et garder en tête les objectifs qui en découlent : au minimum, maintenir sa position (ne pas se faire déstabiliser ou ridiculiser par son adversaire) ; au mieux, retourner son interlocuteur, le mettre face à ses contradictions, ou convaincre le public qui nous entoure peut-être lors de cette joute verbale.
Se préparer à un débat contradictoire est donc un exercice particulier, tout aussi important que le débat en lui-même. A vrai dire, le débat tournera court pour celui qui ne s’y est pas préparé, ou mal préparé. Voici donc un moyen mnémotechnique inspiré du domaine militaire pour se préparer à un débat « en mode combat » : E.S.T.O.M.A.C.
On dit de quelqu’un qu’il a « l’estomac bien accroché » s’il est solide mentalement, capable de supporter des situations difficiles, en un mot : résistant. C’est justement cette attitude qu’il faut avoir quand on part au combat.
Dans l’armée française, l’acronyme « ESTOMAC » est un moyen mnémotechnique utilisé au combat pour designer dans l’ordre : Ennemi / Secteur de surveillance / Terrain à surveiller / Ouverture du feu / Moyen d’alerte / Amis / Chef. Explications :
Quand on poste un soldat quelque part, on peut définir les éléments clefs de sa mission en récapitulant les points successifs E.S.T.O.M.A.C : quelle est la nature de l’ennemi à identifier, quelles sont les limites du secteur à surveiller, par quoi se caractérise le terrain ainsi surveillé, dans quelles conditions faut-il être prêt à ouvrir le feu, par quels moyens est-il possible de passer l’alerte (radio, fréquence, moyens de substitution s’il y a une panne, fumigène, fusée de détresse…), et enfin un rappel des « amis » ou alliés (qui pourraient par exemple traverser le secteur surveillé, mais qu’il ne faudrait pas confondre avec des ennemis et ne surtout pas leur tirer dessus !), et enfin le chef, ou l’autorité à laquelle rendre compte des mouvements suspects et de l’évolution de la situation.
De même, le débatteur qui s’engage dans un débat contradictoire à la manière d’un combattant peut faire sienne cette formule, en l’adaptant bien évidemment à la configuration spécifique de la joute verbale, dont la violence est surtout symbolique et bien éloignée de la violence réelle du terrain militaire. Exemple d’un homme politique invité à une table ronde sur un plateau télé, qui pourrait ainsi récapituler les points clefs de la situation :
Ennemi : qui sont réellement ses contradicteurs ? Même si le journaliste ne lui est pas forcement sympathique, ce n’est pas lui son véritable opposant, et ce n’est pas non plus lui qu’il peut convaincre. De même, les membres des partis différents du sien ne sont pas tous ses ennemis, il peut miser sur un appui de circonstance pour contrer un invité en particulier. Il doit donc être très au clair sur qui est véritablement un ennemi frontal et direct pour lui.
Secteur : Il s’agira ici des thèmes et sujets abordés, sur fond de l’actualité. Notre homme politique doit clairement délimiter ses positions et domaines d’interventions, et ne pas se laisser embarquer au-delà par le journaliste ou un contradicteur. Des que le sujet dérive, il doit s »efforcer de recentrer le débat. Eventuellement, refuser de répondre à certaines questions qu’il qualifiera alors de hors sujet, ou totalement déplacées.
Terrain : la « nature » du terrain sera ici l’angle d’approche des différents thèmes et sujets. S’agit-il de privilégier une approche strictement économique ? Purement statistique ? Précisément chiffrée ? Ou s’ouvrir à des considérations plus « philosophiques, plus « humanistes » ? En fonction, préparer ses dossiers, c’est-à-dire rassembler les chiffres et/ou citations que l’on compte exploiter.
« Ouverture du feu » : fixer à l’avance les « points chauds » sur lesquels on montera tout de suite au créneau. Des que notre contradicteur aborde l’un de ces points, on ne le laisse pas passer, on réagit vivement et on le démonte immédiatement.
Moyens d’alerte : si nécessaire, prévoir quelques stratagèmes de détournement, en espérant ne pas avoir à les utiliser… Si le conseiller en communication de l’homme politique est présent dans le public, s’assurer de pouvoir établir avec lui un contact visuel afin de se transmettre des infos (par exemple, le conseiller peut mettre un doigt sur sa bouche pour indiquer qu’il ne faut pas en dire davantage sur tel ou tel sujet, etc., ainsi c’est plutôt lui qui donne l’alerte).
Amis : en écho au premier point « ennemis », identifier à l’avance et pendant le débat les appuis et alliances de circonstance. Il est préférable d’éviter de se mettre tout le monde à dos, même si on a toujours du mal à ne pas être en total désaccord avec quiconque n’est pas de notre parti…
Chef : bien identifier les différentes autorités qui régissent le débat. En premier lieu : le journaliste. C’est lui qui donne la parole, la reprend, pose un sujet, passe à un autre, et tente de faire respecter le temps de parole de chaque invité. Il faut se plier à ses règles, au risque de s’en faire un ennemi très malvenu. Autorité supérieure au journaliste : la production, ou pour le dire ainsi la chaine de télé elle-même. Bien se rappeler qu’on ne passe pas à la télé pour réellement faire avancer un débat, mais avant tout pour offrir une sorte de spectacle aux téléspectateurs afin de les retenir entre deux pages de publicités. Le but pour les invités est donc de « jouer leur rôle » du mieux possible, et accepter de servir avant tout une entreprise de divertissement, donc ne pas trop se prendre au sérieux non plus.