Les mercredi 11 et jeudi 12 avril 2012 au soir, France 2 a proposé deux émissions « Des Paroles et Des Actes (DPDA) – spécial ».
« Spécial » car en effet le format est plutôt inédit pour une émission politique :
Les dix candidats à la présidentielle ont participé à l’une ou l’autre des émissions, chacune d’entre elles comprenant cinq grands oraux d’environ un quart d’heure (16mn 34s exactement). A noter que Hollande et Sarkozy n’étaient pas invités le même jour…
Habituellement, les émissions politiques qui rassemblent plusieurs candidats sur un même plateau consistent en des débats, où se confrontent donc les représentants de partis opposés. Ici la formule est différente. Comme le souligne Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions : « Il s’agit bien d’une émission qui va voir les candidats sur un même plateau, mais pas au même moment, donc sans débat ».
Sans débat… Sans débat, vraiment ? En réalité, si les candidats ne sont pas amenés à débattre entre eux, ils font face à un « jury » de deux à quatre journalistes qui les interrogent sans relâche… et qui se révèlent parfois bien plus agressifs et virulents que leurs opposants déclarés !
Plusieurs de ces « interviews-débats » ont carrément tourné à la confrontation. Certaines semblaient même construites autour d’une grosse, d’une énorme, d’une monstrueuse attaque ad hominem.
Petite parenthèse explicative. L’attaque ad hominem correspond au « stratagème n° 16 » dans L’art d’avoir toujours raison de Schopenhauer. Voici ce qu’en dit le philosophe allemand :
« Quand l’adversaire fait une affirmation, nous devons chercher à savoir si elle n’est pas d’une certaine façon, et ne serait-ce qu’en apparence, en contradiction avec quelque chose qu’il a dit ou admis auparavant, ou avec les principes d’une école ou d’une secte dont il a fait l’éloge, ou avec les actes des adeptes de cette secte, qu’ils soient sincères ou non, ou avec ses propres faits et gestes. »
Exemple : Jean-Luc Mélenchon, qui aime faire référence à Georges Marchais, est sommé de s’expliquer sur les propos jugés xénophobes de ce dernier (14:18 de cette vidéo, dans la même émission DPDA)… Est-ce vraiment loyal de la part des journalistes, et surtout pertinent d’attaquer Mélenchon en visant une contradiction (ou un accord sournois) entre ses propos et ceux tenus par un tout autre homme que lui plus de trente ans auparavant ?
Mais l’exemple le plus frappant de ce genre d’attaque au cours des deux émissions DPDA a lieu lors du passage de Jacques Cheminade. Visionnez la vidéo ci-dessus et soyez particulièrement attentif à partir de la quinzième minute :
Évoquant les sources d’inspiration du candidat, le journaliste Fabien Namias se met à brosser un inquiétant portrait de Lyndon LaRouche en complotiste fou furieux, repris de justice et ancien membre du Ku Klux Klan, rien que ça. Comment peut-on faire référence à un tel malade, et même revendiquer une forme d’affiliation ?
Cheminade recentre alors le débat, en limitant l’héritage qu’il doit à LaRouche, concernant notamment son analyse du système économique (15:54). Mais ces propos là n’intéressent pas les journalistes, qui préfèrent parler des théories du complot entourant le 11 septembre. Est alors cité Thierry Meyssan, connu pour ses théories fumeuses, et présenté en tant qu’ami de Cheminade (17:26). Puis, sans transition aucune : projection d’un montage photo confectionné par LaRouche représentant Barack Obama avec la petite moustache de Hitler (18:55) ! Et bam !
Comme le fait remarquer Cheminade, les journalistes ont vraiment « mis le paquet »…
Pourtant, sa défense ne pouvait être plus claire, et ce dès le début. Cheminade reprend la formule de Laurent Fabius à propos de François Mitterrand : « Lui c’est lui, et moi c’est moi » (15:45).
En effet, peu importe les liens d’affiliation, les références ou l’admiration portée à un mentor. Une idée vraie n’en demeure pas moins vraie même si vous la défendez pour de mauvaises raisons, et encore moins si vous avez simplement de mauvaises fréquentations ! Pour le dire autrement (sous forme de théorème) : la valeur d’une idée ne dépend pas des contradictions propres aux personnes qui la défendent, et une idée défendue par l’une d’elles ne dépend pas des autres. LaRouche peut donc bien faire ou penser ce qu’il veut, cela n’altère en rien les idées de Cheminade, qui devraient être examinées indépendamment.
Les attaques ad hominem sont injustes et déloyales. Elles sont surtout inutiles car elles n’apportent rien de fondamental au débat. Elles sont même dangereuses car elles disqualifient certaines idées pour de mauvaises raisons. Que de telles attaques soient utilisées entre adversaires politiques, après tout, c’est le jeu ! Mais que les journalistes en fassent eux-mêmes le cœur de leur interview, c’est… nul.
Cette série d’émissions DPDA était vraiment… nulle.