La langue n’est pas une « matière » comme les autres, et ne devrait pas être traitée comme telle dans l’enseignement primaire et secondaire, puis universitaire. Une langue n’est pas constituée d’un ensemble figé de règles et principes immuables. Aucune matière me direz-vous — mais une langue encore moins, car une langue n’a ni début ni fin.
Acquérir la langue
Comment acquiert-on une langue ? Il est formidable d’observer que nous pouvons tous potentiellement parler toutes les langues du monde ! Handicap mis à part, n’importe quel individu est disposé à acquérir la langue du milieu dans lequel il va évoluer dès la naissance. Il n’y a pas de disposition physiologique initiale, selon nos origines ethniques, qui limiterait l’acquisition d’une langue ou d’une autre. La délimitation géographique de notre milieu d’évolution peut avoir une incidence acoustique à la marge (cf. les travaux du docteur Alfred Tomatis), qui réduit à la fois les sons que l’ouïe peut distinguer, et donc que la voix pourrait volontairement tenter de (re)produire. Mais c’est la pratique de la langue elle-même qui fixe les phonèmes élémentaires pour lesquels nous adapterons alors au fil du temps notre diction et notre articulation — et qui nous empêchera de prononcer correctement les phonèmes qui lui échappe. Pour reprendre une formule de la sémioticienne Joëlle Cordesse, « nous sommes tous des polyglottes contrariés » !
Face à cette égalité fondamentale dans notre aptitude initiale à acquérir n’importe quelle langue, comment expliquer cette inégalité apparemment insurmontable dans l’apprentissage et la maîtrise d’une seconde langue ? Dans son livre Apprendre et enseigner l’intelligence des langues, Joëlle Cordesse observe que les « sociétés qui ne bénéficient pas d’une école pour tous sont généralement multilingues, où les individus sont volontiers polyglottes ». Le problème, éminemment paradoxal, est donc l’enseignement. C’est la logique même de l’enseignement dans nos sociétés modernes qui distingue les élèves jugés aptes à s’exprimer dans une nouvelle langue, et les autres élèves, jugés de fait inaptes, découragés et même dégoûtés par l’apprentissage et la pratique d’une langue autre que maternelle. De façon pernicieuse, l’école contribue à nous rendre timide, et de génération en génération elle devient un vecteur du malaise social de nos sociétés modernes.
L’enseignement traditionnel
Car l’enseignement tel que nous le concevons traditionnellement consiste à évaluer ce qui est “correct” et à dénigrer voire à punir ce qui est “incorrect”. Parmi les trentenaires aujourd’hui, qui garde un bon souvenir des classes d’anglais quand il était petit ? Si c’est le cas pour vous, c’est que vous étiez jugé apte et encouragé — tant mieux. Les autres comme moi étaient sans cesse repris, brimés dans leur expression spontanée jusqu’à être sommés de se taire, récoltaient mauvaises notes et désapprobation du professeur, quand ce n’était pas railleries ou moqueries. Tant et si bien que l’on finit par ironiser sur ce qui est ressenti comme une incapacité fondamentale pour laquelle on ne peut de toute façon rien faire. On ne cherche même plus à faire l’effort de corriger son accent, on exagère volontairement certaines fautes grossières, et on finit par délaisser la “matière”. Résultat généralisé pour les Français : un niveau d’anglais jugé faible par rapport au reste du monde (enquête EF EPI 2015 : la France occupe la 37ème place sur 70 pays testés).
Les méthodes traditionnelles d’enseignement des langues étrangères sont trop formelles, rigides et peu soucieuses des besoins et motivations véritables des apprenants. Une langue s’apprend par-delà la langue. Pour faire envie, pour donner envie de l’apprendre, une langue doit se raconter, à travers une histoire qui entre en résonance avec nos envies, nos désirs et nos espoirs.
Les manuels scolaires nous ont habitué au contraire : la langue est utilisée pour raconter des histoires, souvent sans queue ni tête, et c’est rarement “l’histoire de la langue” (de ceux qui la parlent, du ou des pays où elle se parle…) qui est racontée. L’approche de la culture, quand elle existe, fait trop souvent référence à une culture “classique” et néglige les aspects plus contemporains, les modes et les tendances, les us et coutumes des jeunes, les aspects plus “underground” ou “branché” (et même ce terme “branché” est déjà trop ringard pour désigner ce qui intéresse et attire vraiment les jeunes…).
La seule obligation d’une bonne note à l’école ou d’une compétence professionnelle de plus à afficher sur un CV n’est pas suffisante. C’est d’abord tel héros ou telle star — parlant cette langue — que nous décidons parfois secrètement de suivre, c’est pour des individus, des cultures et des histoires que nous pouvons nous passionner, et rarement pour la langue en tant que telle (à moins d’être linguiste dans l’âme). Ce qui nous motive, plus ou moins consciemment, ce sont les aptitudes et possibilités offertes par la connaissance de la langue, que nous “mettons en récit” en imaginant et en (ré)écrivant notre scénario de vie. Subordonner ces rêves et ces espoirs à la seule obtention d’une “bonne note” revient à les annihiler.
L’étrangeté de la langue
L’apprentissage doit pouvoir se faire dans un grand bain d’essais où l’erreur n’est pas seulement tolérée mais encouragée, comme passage obligé de tâtonnements et d’expérimentations avant de pouvoir formuler des phrases “correctes” (ou du moins compréhensibles) dans une nouvelle langue. Dans cette perspective, les exercices — de découverte de “l’étrangeté” d’une langue étrangère — proposés par Joëlle Cordesse sont fabuleux (Cf. Apprendre et enseigner l’intelligence des langues). L’approche neurolinguistique — qui élude notamment le bachotage stérile des règles grammaticales — développée et portée entre autres par Claude Germain et Michel Paradis mérite aussi d’être davantage expérimentée par les institutions scolaires et universitaires (ce qui impliquerait en partie de revoir les impératifs des programmes habituels, jusqu’aux modalités des examens).
L’enseignement des langues gagnerait à s’appuyer davantage sur la narration, le récit, le scénario de vie, et plus généralement la communication. Il est surprenant d’observer à quel point les spécialistes des langues (et les enseignants en général…) peuvent se révéler de bien piètres communicants.
Le contrôle strict des connaissances par régurgitation de listes de vocabulaire indigestes, de structures grammaticales figées, à restituer principalement à l’écrit, plombe l’apprentissage des langues étrangères et explique pour une large part la faiblesse des Français dans ce domaine. Les « cours de langue » tels que nous les avons longtemps conçus n’ont plus lieu d’être. La notion même de note pour évaluer la maîtrise d’une langue est une absurdité totale. Il faut ré-introduire le plaisir et les désirs de l’apprenant au cœur de son apprentissage, et lui offrir la possibilité de prolonger et d’élargir sa propre histoire, en la mêlant avec celle de la langue avec laquelle il veut essayer de la raconter.
Finalement, quand on envisage d’apprendre une langue en étant totalement en dehors d’une « école » ou disons hors du système éducatif traditionnel, on se rend compte qu’il existe énormément de moyens et d’astuces très efficaces et ludiques ! Découvrir par exemple : 5 conseils décisifs pour progresser rapidement en anglais. Pensez à ces méthodes alternatives pour vous remettre à l’apprentissage d’une langue : c’est une si bonne chose de pouvoir indiquer la maîtrise d’une ou plusieurs langues étrangères pour valoriser votre CV. D’autant plus si vous envisagez un jour de devenir formateur ou conférencier international, qui sait ?