La technologie nous permet d’accéder peu a peu a l’idéal libertaire d’un monde sans frontière, d’un espace mondialisé ou tout le monde pourrait être partout et avec tout le monde a la fois.
Le téléphone portable permet de discuter aussi librement dans la rue avec une personne éloignée de plusieurs milliers de kilomètres qu’avec une personne juste a coté. Aucune différence de voix dans la transmission, aucun retard ou décalage humainement perceptible, rien ne marque la distance.
Pourtant il ne s’agit pas seulement du nouveau mode de « déterritorialisation » permis par le numérique, qui nous offre la possibilité de nous connecter quasi-instamment avec le contact de notre choix, ou avec plusieurs a la fois, ou qu’ils soient dans le monde. Il ne s’agit pas de ce seul contact numérique, qui se limite finalement a un rapport verbal et vocal, éventuellement visuel, mais non charnel. Il s’agit bien du contact physique permis par les nouveaux moyens de transport, toujours plus rapides, toujours plus développés tout autour de la planète. Le fait de pouvoir « toucher », réellement, nos contacts étrangers en se rendant vraiment chez eux, en allant vraiment a leur rencontre.
Les moyens de transport ont pu renforcer le sentiment d’appartenance a une nation, en faisant de l’espace national un espace toujours plus accessible. Tout au long du Moyen Âge, le cheval est le principal moyen de transport. Aujourd’hui, c’est la voiture, la moto, le train, les bus. Un exemple qui permet de prendre la mesure de cette évolution est la distance séparant les préfectures départementales. Les départements français furent créés en 1790, et leur territoire fut défini de manière a ne pas être trop étendu : le découpage des départements français a en effet été fait de manière à ce qu’il soit possible de se rendre au chef-lieu du département à partir de n’importe quel endroit de celui-ci en moins d’une journée de cheval. Aujourd’hui, c’est l’affaire de quelques dizaines de minutes en voiture (quand il n’y a pas d’embouteillages…).
Le train a permis de rejoindre en toujours moins de temps le nord et le sud du pays, l’est et l’ouest, donnant ainsi le sentiment que le pays tout entier était finalement « a taille humaine’, et non immense et impraticable. Les moyens de transports « abolissent » ainsi les distances, ou les dissolvent dans des espaces plus vastes, plus larges. A l’échelle internationale, c’est ce que permet l’avion. Il est devenu facile et fréquent de passer un simple week-end dans un autre pays, parfois même a l’autre bout de la planète.
C’est a la fois une opportunité exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité, et en même temps une nouvelle limite symbolique. L’avion ne permet plus de distinguer la distance parcourue. L’esprit humain pouvait encore percevoir la distance en « ressentant » la longue route du bus ou du train. Mais dans les airs, en prenant de l’altitude, les vitesses et les perceptions n’ont plus rien de commun avec ce a quoi nous sommes habitués. Nous avons donc l’impression de « subir » la même distance en 2 heures d’avion ou 2 heures de train. Alors que dans le premier cas, nous sommes allés 3 ou 4 fois plus loin…
Certes, pour certaines personnes, l’avion reste encore un moyen de transport assez exceptionnel, peu fréquent, associé a un moment particulier de l’existence (vacances, voyage de noces…), vers des destinations exotiques, atypiques. Ce caractère exceptionnel, au sens de inhabituel, fait que ces personnes ont encore le sentiment de vivre quelque chose de spécial, de different, en prenant l’avion. Mais ce n’est probablement plus le cas d’une génération habituée aux longs voyages fréquents, un week-end a New-York, un week-end a Tokyo, ou encore aux travailleurs nomades qui tournent autour du monde par sauts de puce.
Tout ça est bon, certes, et le remettre en cause semblerait conservateur, rétrograde ou réactionnaire. Mais une étrange limite apparait progressivement, au même rythme que ce progrès des transports et des communications. Combiné avec la deterritorialisation numérique précédemment évoquée, on comprend aisément que le monde, pourtant perçu dans sa globalité, n’est paradoxalement plus perçu dans son immensité… Un problème se pose alors… A force de tout percevoir immédiatement, d’abolir les distances, un risque se profile : que l’on finisse par trouver notre monde trop petit.