Dans un article sur « Qu’est-ce que le storytelling ? », je disais en introduction : « pour vendre un produit, ne parlez pas du produit » ! La pub dont je veux vous parler aujourd’hui illustre ce principe à la perfection…
L’un des exemples les plus fameux de storytelling dans le domaine du marketing français est la publicité pour l’eau Quezac (diffusée à la télé en 1995) :
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On dirait la bande-annonce d’un film médiéval à la limite du fantastique. Rien n’est dit sur la qualité de l’eau, de ses minéraux, ou sur la pureté de sa source. Les origines sont floues, datées approximativement (« il y a très longtemps, peut-être plus de mille ans… »), tout est basé sur des « on dit » (« on dit que les eaux de cet orage… », « on dit que quand l’eau rejaillirait… »), etc.
Et pourtant, du fait même de ces imprécisions, les bulles deviennent « miraculeuses »… L’eau apporte désormais « gaîté et longue vie »… Et Quézac n’est plus seulement le nom d’une marque d’eau en bouteille, mais devient le titre d’une légende.
A la différence des autres grandes marques d’eau minérale, cette publicité ne se concentre pas sur les caractéristiques ou les qualités intrinsèques du produit qu’elle cherche à vendre : elle l’associe à un imaginaire qui lui donne une profondeur, une « âme », marque les esprits et offre bien plus qu’une simple eau pétillante.
Avec les techniques de storytelling, en mettant en récit leurs produits, les marques jouent avec l’imaginaire du public pour capter son attention et lui transmettre des émotions…
De même, si vous voulez vendre quelque chose, ne vous concentrez pas seulement sur les propriétés, particularités ou caractéristiques de la chose en question… Enrobez-la dans une belle histoire !
Notons toutefois une évolution assez surprenante des publicités Quezac. En 2005, soit 10 ans après ce premier spot, voici la nouvelle pub qui fut diffusée à la télé :
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Après avoir créé un univers et un imaginaire pour faire rêver, Quezac a donc décidé de recentrer sa communication sur un élément beaucoup plus terre-à-terre de son produit : le prix !
Il y a deux aspects qui surprennent vraiment dans cette pub :
- Tout d’abord, le fait qu’en 2005, sur le marché de l’eau en bouteille, les différentes marques – du moins les « grandes » marques comme Quezac – ne cherchent pas à se différencier du point de vue du prix. L’imaginaire créé par le storytelling leur servait justement à se distinguer, par rapport aux autres marques génériques ou premier prix.
- Ensuite, Quezac fait de son prix le point unique de sa communication. Rien n’est dit, encore une fois, sur la qualité de l’eau ou la richesse de ses minéraux. La seule info, c’est : « Petit prix » ! C’est la seule mention inscrite à l’écran, en plus du nom Quezac sur l’étiquette de la bouteille (voir à la fin).
Le tour de force de Quezac est cependant de faire resurgir son héroïne, la petite fille qui contait sa légende dans la première publicité de 1995.
Tout en centrant son message sur le prix, Quezac mobilise donc habilement l’imaginaire déjà présent autour de son produit, par un simple rappel d’un visage fortement ancré dans le souvenir des consommateurs.
On peut réfléchir sur la stratégie de Quezac, qui s’est peut-être aperçu qu’en teintant d’une légende trop spectaculaire son eau pétillante, a donné à celle-ci l’apparence d’un produit de luxe, rare et précieux, quasi-magique, en tout cas moins accessible qu’une autre eau gazeuse de base. Il fallait donc en quelque sorte circonscrire le mythe, pour remettre l’eau Quezac « à niveau » par rapport aux autres…
Mais ce qui est intéressant ici, c’est la dimension d’un storytelling particulier qui se déploie alors sur dix années à travers plusieurs publicités.
L’histoire, ce n’est plus la légende d’un « orage qui, dit-on, gronda il y a peut-être plus de mille ans… » : c’est la vie d’une vraie personne que nous voyons grandir sous nos yeux, passant de petite fille à jeune femme, et qui, de fait, joue sur un type d’émotions très puissant lié à un authentique souvenir.
La charge affective de cette publicité est donc extrêmement forte, et dépend d’une durée incompressible qui sépare effectivement la diffusion des deux spots publicitaires.
Par ailleurs, un subtil jeu est instauré entre le personnage de la petite fille, et la jeune femme qui semble alors quitter son rôle. Par ce décalage, un pont paradoxal est jeté entre la légende et la réalité, inaugurant une forme de storytelling « réflexif ».
On a coutume de dire que « les meilleures histoires sont les plus courtes »… A l’inverse, un bon storytelling s’inscrit dans la durée, dans le temps – jusqu’à faire coïncider, dans le meilleur des cas, l’histoire qu’il véhicule et l’Histoire avec un grand H…
Au risque de mélanger fiction et réalité…