La triple négation est une technique que Benjamin Lancar maîtrise si bien qu’il faudrait dire de ceux qui l’ont subi qu’ils se sont fait « lancariser »…
Je vais vous expliquer cette technique en détail. C’est à l’occasion d’une grande conférence-débat organisée il y a bientôt deux ans par l’association GEM En Débat que j’ai pu en voir la meilleure application :
Le 21 avril 2010, GEM En Débat recevait les représentants des mouvements jeunes des principaux partis politiques, à savoir Laurianne Deniaud (Présidente du Mouvement des Jeunes Socialistes, PS), Franck Faveur (Président des Jeunes Démocrates, MoDem), et Benjamin Lancar (Président des Jeunes Populaires, UMP).
Le débat s’est vite polarisé entre la militante de gauche et celui de droite – le centriste se retrouvant de fait pris en étau, peinant à affirmer une « troisième voix ». Laurianne Deniaud semblait en bonne position, laissant peu parler son adversaire direct Banjamin Lancar, quand celui-ci lui balança en pleine face, accrochez-vous :
« C’est pas parce qu’on est jeune qu’on n’a pas le droit de pas dire n’importe quoi ! »
Ouch ! Voilà le genre de phrase qu’on a besoin de relire une ou deux fois pour être sûr de bien comprendre. Qu’a-t-il voulu dire exactement ? En mathématique, multiplier deux nombres négatifs = un nombre positif. En français, la double négation présente autrement plus d’ambiguïté… Mais là, il s’agit carrément d’une triple négation !
Traduction possible par l’affirmative : « bien qu’étant jeunes, nous pouvons nous efforcer de formuler des idées sensées ». C’est déjà plus clair. Et ça n’a bien évidemment pas le même impact…
Car le but recherché, en lâchant une formule aussi tarabiscotée, est bien de déstabiliser son adversaire. Troublé, celui-ci essaiera de décoder ce qui vient d’être dit, d’en trouver le sens : autant de millisecondes d’hésitation qui suffisent pour le casser dans son élan et reprendre la main. Benjamin Lancar a su profiter de ce léger temps d’arrêt provoqué chez sa rivale pour aussitôt embrayer sur ses idées et ses projets. Et au final, de l’avis de l’immense majorité du public, c’est lui qui sortit vainqueur du débat.
Un débat public entre deux personnalités politiques n’est pas un débat comme les autres. Il ne s’agit pas de convaincre son interlocuteur, ni même de négocier avec lui un quelconque accord, mais de lui tenir tête. C’est un jeu de postures où chacun s’efforce de maintenir sa position coûte que coûte, et tente d’affaiblir celle de l’autre par tous les moyens (sans en venir aux mains).
Chaque débatteur a donc intérêt à occuper le plus grand temps de parole possible, et cela tant pour avancer ses propres arguments que pour empêcher l’adversaire de développer complètement les siens. D’où l’importance des techniques de déstabilisation, pour interrompre l’autre et reprendre la parole…
Il est toujours difficile et délicat de couper la parole d’un interlocuteur quand celui-ci est vraiment lancé. Si son rythme est fluide et son débit rapide, cela sera mal perçu et pourra se retourner contre le malotru. C’est pourquoi il est préférable, pour couper la parole, de guetter le moindre silence, la moindre hésitation, comme une faille dans laquelle s’engouffrer. Mais ce n’est pas assez. Car il ne s’agit pas seulement d’obliger l’autre à s’arrêter… Encore faut-il briser le fil de ses idées.
Quand vous coupez votre adversaire, évitez donc de vous lancer immédiatement dans une grande tirade en réaction directe à ce qu’il vient de dire. Préférez une première formule troublante et percutante qui obligera vraiment votre adversaire à désarmer, en le plongeant dans un abîme de réflexion. La triple négation de Lancar ou « lancarisation » ;-) peut bien sûr être déclinée à l’infini :
« C’est pas parce qu’on est démocrate qu’on a pas le droit de pas dire n’importe quoi ! »
« C’est pas parce qu’on est en France qu’on a pas le droit de pas dire n’importe quoi ! »
Vous pouvez même tenter une quadruple négation :
« C’est pas parce qu’on n’est pas de droite / de gauche qu’on n’a pas le droit de pas dire n’importe quoi ! »
…Complexifiez à loisir :
« Ce n’est pas parce qu’on n’a pas dit qu’on n’était pas de gauche / de droite / centriste / martien / … qu’on n’a pas le droit de ne pas défendre n’importe quelle ineptie… » (5 nég’ !)
D’ici que votre adversaire comprenne ce que vous avez voulu dire, ou ne pas dire, ou ne pas dire de dire de ne pas dire… Vous aurez largement développé vos idées et repris la main !