Proche de l’effet de contraste, la mise sous tension consiste à mettre les sentiments du récepteur à l’épreuve.
Imaginez qu’en regardant la télévision vous tombiez sur un spot de prévention dans le cadre d’une campagne de sécurité routière : des images violentes à la limite du soutenable, et l’idée d’un danger immédiat à chaque carrefour. Et comme par hasard, quelques publicités plus tard, vous découvrez un spot vantant les mérites du dernier modèle de tel ou tel constructeur automobile, carrosserie magnifique et surtout très solide, ultra-sécurisée, tenue de route parfaite, airbag et compagnie en série. Cette succession de spots a un effet presque trop évident : en sensibilisant le téléspectateur aux dangers de la route, le modèle de voiture présenté en suivant lui apparaît alors comme la solution, le moyen tout trouvé d’éviter un accident.
Pour prouver cet effet d’amorçage cognitif, deux psychologues de l’université de Séoul ont organisé une expérience où il ont fait visionner à la moitié des participants cette succession de spots, soit un clip de prévention pour la sécurité routière suivi d’une pub pour un 4×4. Aux autres participants ils ont fait précéder la publicité d’un document sur le pétrole et la pollution. Ensuite, ils ont interrogé tous les participants afin d’évaluer leurs intentions d’achat d’un 4×4. Les participants du premier groupe – sécurité routière – ont manifesté de fermes intentions d’achats, contrairement à ceux du second groupe qui ont déclaré ne jamais vouloir acheter de 4×4 – notamment à cause de la consommation d’essence et de ses effets polluants.
Dans le cadre d’une stratégie de communication d’influence, une fois le message principal fixé, il convient donc de réfléchir tout autant aux messages suivants et précédents, comme « l’englobant », afin de le servir au mieux.
La conception d’une affiche, d’un tract, la simple prononciation d’une phrase ou même la formulation d’un tweet doit donc prendre en compte tous les aspects contextuels. Quels mots avant, après ? Quelle(s) couleur(s) ? Quelle(s) photo(s) associée(s) ? Quelle actualité ? Ce dernier aspect est bien évidemment celui sur lequel nous n’avons a priori aucun contrôle. Nous pouvons cependant patienter en attendant le meilleur moment, guetter les situations les plus propices.
Dans la perspective d’une propagation de rumeur, l’attention accordée à la situation est primordiale. Une mise sous tension est nécessaire pour diffuser un message efficacement. Notons cependant que le message peut lui-même redéfinir la situation. Tout comme l’observateur modifie ce qu’il observe par le fait même d’observer, intervenir dans un contexte donné a le pouvoir de modifier ce contexte, qui redéfinira alors l’intervention, et ainsi de suite.
En art oratoire, chaque élément du discours se charge d’un sens particulier par sa position par rapport aux autres. La matrice rhétorique est toujours mouvante et fluctuante, dans une redéfinition constante de l’attitude du public quant à ce qu’il entend et perçoit de l’orateur, mais aussi de l’orateur par rapport à ce qu’il observe dans les réactions et attitudes du public. Cette relation modifie le message dont la construction ne doit jamais être fixée à l’avance, jamais arrêtée ou décidée une bonne fois pour toute, mais toujours en partie improvisée et modulée au gré des circonstances. De même, le cadre perçu de cette relation se recompose en permanence.
Alex Mucchielli est peut-être l’un des chercheurs qui est allé le plus loin dans la prise en compte de cette relation entre les agents et leur redéfinition de leur situation d’échange mutuel, en proposant de revoir complètement notre modèle d’analyse communicationnelle. Il propose d’abandonner le modèle classique de l’émetteur-récepteur au profit d’une approche dite « situationnelle » : lire l’article