Dans le courant de l’année 2011, une publicité assez angoissante fut diffusée à la télévision. Les scènes se déroulent dans des endroits habituellement bondés : la galerie d’un centre commercial, une autoroute, des bureaux d’entreprise, une cantine…
Sauf que là, il n’y a personne. Tout est désert, ou presque. Vision d’une sorte d’univers post-apocalyptique avec, au centre, un homme, seul, absolument seul, qui dépérit.
L’image est forte : il s’agit de montrer que par-delà le monde, à travers la foule, certaines personnes peuvent demeurer seules, en ayant cette terrible sensation, tout le temps, d’être abandonnées à elles-mêmes.
Cette publicité était diffusée dans le cadre d’une campagne contre un mal invisible : la solitude – décrétée grande cause nationale 2011 par la Société de Saint-Vincent-de-Paul.
En quoi la solitude est-elle un mal invisible ? Parce qu’elle est le fait – ou plutôt le non-fait – de ne pas communiquer, de ne pas pouvoir parler avec les autres. La parole est déjà en soi quelque chose d’insaisissable, immatérielle, évanescente… Un simple son qui s’envole à peine prononcé… Alors l’absence de parole se remarque d’autant moins…
C’est pourquoi la solitude est si difficile à repérer. On peut voir quelqu’un qui se fait agresser, tandis qu’un individu seul est quelqu’un qui disparaît de la société. Et pourtant, comme il est rappelé dans cette publicité, 1 personne sur 3 en souffre.
Le moyen pour combattre la solitude est pourtant si simple :
Ce qui compte, ce n’est pas d’être rassemblés en un seul endroit, dans un bar, une soirée, une manif, mais d’interagir les uns avec les autres. Le slogan de la campagne est d’ailleurs très bien trouvé, clair et percutant : « Contre la solitude, nous sommes tous la solution ». Un sourire ne coûte rien. Un regard ne coûte rien. Un mot gentil, une simple parole, une invitation à la discussion ne coûte rien. Et pourtant cela constitue l’essence même de la vie. Ça n’a pas de prix.
Pourquoi je vous parle de ça aujourd’hui ? Quel rapport avec l’éloquence ?
L’éloquence, c’est l’art de bien parler. C’est une forme d’aisance à l’oral clairement mondaine, donc caractéristique de personnes bien « intégrées » qui n’ont a priori pas à se sentir concernées par la solitude. Mais devient-on éloquent parce qu’on est mondain, ou peut-on devenir mondain parce qu’on est éloquent ?
En effet, pour « bien parler », encore faut-il parler tout court. Et les deux sont aussi liés dans le sens inverse : certaines personnes, pensant ne pas bien parler – ne pas s’exprimer comme il faut, ne pas maîtriser un certain vocabulaire, certaines références, ou encore souffrir d’un fort accent -, préfèrent ne pas parler du tout et redoutent même d’avoir à s’exprimer. Elles ne sont pas exclues parce que personne ne leur parle : elles s’auto-excluent en évitant de parler, de répondre, de s’engager dans une conversation libre et spontanée. Certaines pourraient même percevoir toute invitation à ce type d’échange comme une forme d’agression, et réagir violemment…
La France, pays de l’élégance, de l’éloquence et de la séduction, est devenue une société de timides, d’individus mal à l’aise qui peinent, ou craignent d’interagir trop spontanément, trop librement… La peur se diffuse dans toute la société, à travers les discours sur l’insécurité, le risque d’être abordé par un inconnu, de parler avec quelqu’un qu’on ne connaît pas… La France est malade de cette peur. Elle en meurt.
Preuve de cette timidité ? On entend parfois la rengaine selon laquelle « les hommes ne savent plus séduire »… Mais dans ce cas les femmes non plus ne savent plus « se laisser séduire »… Preuve du malaise social ? Les hommes politiques ne font plus rêver. Les professeurs ne savent plus réveiller leurs élèves. Plus personnes ne semble trouver les mots, pas même ceux que l’on désignent comme nos « orateurs » officiels… Les passagers des transports en public n’osent plus se saluer, ni même se regarder ; aucun n’osera réagir face à un gêneur, tous fermeront leur gueule…
La peur, la timidité, l’absence de pratique et d’entraînement à l’expression orale, la méconnaissance de certaines techniques de communication pourtant simples (communication non violente, écoute active, gestion des personnalités difficiles…) : voilà quelques unes des causes principales d’un mal-être général et invisible qui gangrène la société toute entière.
Face à cette situation : que faire ?
Le but est de réveiller, de libérer la parole. Réhabiliter l’expression orale comme une pratique à part entière, à laquelle s’exercer dès le plus jeune âge. Instaurer des classes de conversation à l’école, au collège et au lycée. Proposer à chacun d’acquérir des techniques de communication élémentaires. En faire un critère pour se former à la citoyenneté. Renouer des liens sociaux détruits par la peur, la timidité, l’inquiétude. Ne plus écouter les discours alarmistes des hommes politiques, mais chercher la solution en nous, dans notre capacité à aller vers les autres. En un mot : OSER. Osons briser les barrières, les distances, les codes. Unissons-nous dans un libre échange de paroles et d’idées.
Nous sommes tous la solution.