Qu’est-ce qu’un bretteur ? Ce mot venu d’un autre âge se rencontre de temps en temps dans les colonnes d’un journal, à propos de… débats politiques !
Une « brette » était une sorte d’épée, à lame longue et effilée, en usage du XVIe au XVIIe siècle. A cette époque, un bretteur était donc un duelliste, un escrimeur, quelqu’un aimant se battre à l’épée, chercher querelle et provoquer les autres en duel… Quel rapport avec la politique et les débatteurs (à part la rime) ?
Pour les spécialistes de la rhétorique, le débat est souvent envisagé comme un combat. Celui qui pousse le plus loin cette comparaison est le philosophe allemand Schopenhauer, dans son célèbre ouvrage L’art d’avoir toujours raison. Il développe toute une métaphore guérrière où chaque mot, chaque formule devient un coup de poignard ou d’épée. C’est d’autant plus vrai en politique, où les débatteurs sont prêts à tout pour écraser leurs adversaires.
Pour rappel, la rhétorique est l’art de la persuasion. Dans l’idéal, la rhétorique ne devrait pas être utilisée comme une arme. Elle ne devrait pas servir à « enrober » les idées fausses ou malhonnêtes. Elle devrait simplement servir à amplifier l’attrait des idées justes et vraies, par delà la rudesse ou la rigueur de leur démonstration formelle.
Dans L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer explique d’ailleurs que « la première mission des rhéteurs est d’élaborer et d’analyser les stratagèmes de la malhonnêteté dans la controverse afin que, dans les débats réels, on puisse les reconnaître immédiatement et les réduire à néant ». D’une certaine manière, le but de la rhétorique est de neutraliser les mauvais usages de la rhétorique…
Mais le philosophe allemand fait bien vite remarquer que la rhétorique sert de la même façon idées vraies et idées fausses – et le plus souvent en faveur de ces dernières. Pour Schopenhauer, les hommes sont vils et malhonnêtes. Ils cherchent seulement leur propre gloire, leur petit succès personnel, égoïstement, contre les autres et non avec eux… C’est à travers cette vision pessimiste du monde que les relations entre les hommes apparaissent comme tout autant de luttes implicites, de conflits larvés, de guerres symboliques. Le débat s’assimile à un combat, à une lutte dans laquelle la seule chose qui compte est de soi-même triompher, quelles que soient les idées défendues, au détriment de la vérité.
Schopenhauer insiste sur cette idée en utilisant nombre d’expressions directement tirées du registre militaire. Le terme même de « stratagème », par lequel il nomme chaque figure rhétorique qu’il présente, désigne à l’origine un procédé tactique propre à l’armée.
Dans les quelques pages d’introduction de L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer se sert de formules telles que : « …pour battre l’adversaire à armes égales… », « …dans les règles de ce combat… », « …toucher et parer, c’est cela qui importe… », etc. Schopenhauer use d’un vocabulaire guerrier, et fait plusieurs fois le parallèle avec un « maître d’arme préparant un duel »…
La métaphore du combat est bien là, explicite et assumée, et le débatteur, qui se doit donc d’être bon rhéteur, est présenté comme un parfait bretteur.
Amusant : en québécois, le verbe bretter, de la même famille que bretteur, signifie « perdre son temps à une activité inutile, pinailler, discutailler, palabrer »… On dit « arrête de bretter » pour « arrête de glander » ! Voilà peut-être une traduction bien plus juste que la nôtre, qui ferait presque passer nos politiciens pour de nobles combattants héroïques…