Analyse

Je vous ai compris ! Le discours du général de Gaulle le 4 juin 1958 à Alger : un modèle d’éloquence

Le discours du général de Gaulle le 4 juin 1958 à Alger, l’un des plus importants du XXe siècle, est remarquable à plus d’un titre. Outre sa portée historique, il offre un excellent exemple des techniques de base de l’art oratoire, notamment en ce qui concerne la gestuelle, la posture et le rythme.

Contrairement à ce que l’on croit, une bonne gestuelle n’est pas une gestuelle trop sophistiquée, excessive ou expansive. A part sa célèbre posture les bras en V, par laquelle il ouvre et clôt son discours, le général de Gaulle bouge très peu. Ses bras sont allongés le long du corps. Il marque discrètement quelques points importants en levant l’avant-bras à hauteur du coude, pas plus haut, et insiste sur les points décisifs en levant les deux, parfois un peu plus haut, mais quasiment jamais au-dessus des épaules ! Trois passages notables :

  • Vers la deuxième minute de son discours, « …et c’est pourquoi vous voilà » : il ouvre les deux bras de façon accueillante ;
  • Vers la quatrième minute, « Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait » : l’importance de ce passage est marqué par un mouvement énergique de la main droite sur le premier segment de la phrase, puis par le poing gauche fermé ;
  • Vers la sixième minutes, « …elle a su endiguer le torrent pour en capter l’énergie » : il illustre cette image en mettant ses deux avant-bras en parallèle.

[amazon_link asins=’2226206191,B003RGKI9M,2914119615,286274347X’ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’0970ed1a-0fa7-11e7-9c67-d55d13e32071′]

Une bonne gestuelle est une gestuelle minimaliste. De trop larges « effets de manches » risquent généralement de faire passer l’orateur pour un comédien, peu naturel et peu crédible.

A cela s’ajoute le maintien d’une posture parfaitement droite (bassin stabilisé, dos droit, épaules basses, cou droit et dégagé…), permettant à de Gaulle de déployer et d’affirmer son personnage dans toute sa classe.

Le maintien de cette posture droite est aussi ce qu’on appelle, en art oratoire, la « verticalité ». Observez les grands orateurs : leur charisme est directement fonction de leur verticalité. Ils n’ont pas le dos vouté, ils ne rentrent pas la tête dans les épaules, ils évitent généralement les postures ou appuis asymétriques… Ils n’ont pas d’attitude de recul ou de rejet, ne sont pas trop « en avancée », ni même « en extension » : ils sont juste bien droits.

De même, appliquez-vous à vous tenir bien droit et à limiter votre gestuelle.

Vous vous demandez peut-être si le fait de réduire votre gestuelle ne rendra pas vos discours moins vivants ? Généralement, on bouge trop, et nos mouvements sont souvent le reflet d’une certaine nervosité (mouvements parasites, etc.). Vous gagnerez en charisme et en autorité en limitant vos gestes, en les réservant pour marquer les moments importants, et en évitant de lever les bras ou les mains trop haut (veillez à ne pas les gardez trop bas non plus, au risque de sembler vous effacer – le niveau du coude est un bon repère).

[amazon_link asins=’2710119382,2750906148,2354560354,2710122189′ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’2c211550-0fa7-11e7-8a29-41136c280807′]

Un autre aspect des grandes capacités oratoires du général de Gaulle est la gestion du rythme du discours, notamment par sa maîtrise des silences :

Comptez les secondes entre chaque phrase, entre certains mots, à chaque point, à chaque virgule… Presque 10 secondes entre « Je vous ai compris » et la phrase suivante ! De Gaulle sait laisser la foule acclamer. Il sait attendre qu’elle s’apaise. Et il sait aussi assumer de longs silences, ne rien dire sans que rien ne se passe. Ces silences donnent une force et une profondeur aux mots qui viennent d’être prononcés, et à ceux qui suivent. Ils ajoutent à l’intensité « dramatique » du moment historique qui est en train de se jouer…

Je dis qu’il « assume » ses silences, car il s’agit bien de « prendre sur soi », d’oser rester silencieux et tenir bon sans rien dire.

Généralement, nous n’assumons pas de trop longs silences, nous sommes gênés, nous cherchons à « meubler »… Dans le pire des cas on meuble avec des « heu » hésitants ou stressés, dans d’autres cas on se contente d’enchaîner et on débite son discours à toute vitesse… Et dans tous les cas on ne marque aucun moment fort, on ne laisse pas au public la possibilité de bien assimiler toutes les informations qu’on lui transmet, et on noie notre message-clef dans notre propre flot de paroles…

De même que de Gaulle : prenez votre temps ! Ne vous précipitez pas, et sachez vous retenir de parler quelques secondes durant. Cela créera ainsi une sorte de suspens, qui capativera d’autant plus votre public, tout en lui donnant le temps d’assimiler correctement tout ce que vous avez à dire. Votre message passera mieux, et aura plus de force.

Verticalité + gestes adaptés + silences assumés = impact à l’oral décuplé !

[amazon_link asins=’2354560354,B017GG24DQ,2743619104,1024201112′ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’3d24b447-0fa7-11e7-8288-47fc6c6b20ba’]

Partagez sur vos réseaux

Gauche molle / gauche dure, ou l’exemple socialiste de la fuite et l’attaque face au trac

Face au trac ou au stress, deux réactions typiques sont souvent repérées :

[amazon_link asins=’2858683891,2844459137,2738112366′ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’02ce4536-1075-11e7-a47d-f3764035839c’]

  • La première de ces réactions est la fuite : face au danger que l’orateur pressent, il cherche à se réfugier dans une carapace qu’il espère capable de le protéger, il refuse de se confronter au regard du public qui l’observe, qui lui semble épier chacun de ses mouvements.
  • A l’opposé de ce mouvement de rétractation, la seconde des réactions classiquement analysée est l’attaque : le public est perçu par l’orateur comme un agresseur potentiel, contre lequel il s’agit de lutter par la voie des armes. Dans un discours, l’orateur pourra ainsi recourir à l’invective, à la provocation, à la menace.

Le débat du second tour des primaires socialistes de 2011, ayant vu s’opposer François Hollande et Martine Aubry, est une bonne illustration de ce schéma réactionnel typique. Voir notamment dans l’extrait vidéo ci-dessous le passage sur la « gauche dure / gauche molle », à partir de la 10e minute :

Face à la pression générée par l’attente des téléspectateurs, François Hollande, en faisant preuve d’une volonté de consensus, a privilégié la voie de la fuite, en évitant tout sujet de clivage et de confrontation – ce qui a pu être interprété comme une certaine forme de « mollesse ». A l’inverse, Martine Aubry a répondu par la voie de l’attaque, par le recours à des critiques féroces, intrusives et incisives, dans une démarche considérée comme « agressive ».

Il est certain que ces deux réactions – fuite et attaque – entravent plus qu’elles ne renforcent la capacité de l’orateur à convaincre son auditoire de manière efficace, lorsqu’elles ne sont pas maîtrisées. Le bon orateur doit savoir manier tour à tour le sabre et le bouclier, avec mesure et dextérité…

[amazon_link asins=’2207249441,2355220018,3297005564′ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’0eccf399-1075-11e7-9557-657733d982ca’]

Partagez sur vos réseaux

Triple couac : les paroles brouillées de Vladimir Poutine sur les femmes

Le mercredi 4 juin 2014, Poutine répondait aux questions de Jean-Pierre Elkabbach et Gilles Bouleau dans une interview diffusée simultanément sur TF1, dans le JT de 20h, et Europe 1. C’était la première fois depuis le début de la crise en Ukraine que Poutine s’exprimait dans les médias occidentaux.

[amazon_link asins=’2758701677,2234081203,2356874348,2228915386,2253194441,2955290033,226205164X’ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’4083f9ad-0fa9-11e7-8354-6500ec5de96a’]

Comme le rapporte Jean-Pierre Elkabbach, cet entretien était « tout à fait libre » : « ni Poutine, ni son entourage n’ont cherché à connaître les thèmes » des questions à l’avance. Ce qui peut sembler « surprenant », ajoute-t-il, en comparaison des entrevues très cadrées et préparées de nos responsables politiques. Bien sûr, Poutine maîtrise ses sujets, mais il improvise : tout dérapage est donc possible. C’est en tout cas ce que guettent nombre de commentateurs dans cette entrevue sous haute tension.

Et ça tombe bien ! A la quatorzième minute de l’entretien, la traduction simultanée double la voix de Poutine en lui faisant dire :

« Il est préférable de ne pas débattre avec les femmes. »

Ce court extrait complètement sorti de son contexte commence alors à tourner en boucle sur BFMTV, et à animer plateaux télé et autres tables rondes où éditorialistes, chroniqueurs et analystes n’en peuvent plus de se mettre en émoi, de s’indigner, de fustiger cet affreux machisme, d’y voir là une nouvelle provocation éhontée…

Attendez. Qu’a dit Poutine exactement ? A propos de quoi ?

[amazon_link asins=’2296059368,291555224X,B01LZD3AYS’ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’2b9c1b62-0fa9-11e7-9ff5-57cca74dddd3′]

Il s’agit d’une interview : à quelle question préalable ces paroles font-elles donc suite ? Poutine répond à Gilles Bouleau, qui rapporte les propos d’Hilary Clinton :

« Monsieur le Président, il est heureux d’une certaine manière que vous ayez à faire le 6 juin à Barak Obama. Si vous aviez à faire avec Hilary Clinton les choses tourneraient peut-être mal, elle a dit il y a quelques jours que ce que faisait la Russie en ce moment en Europe centrale ressemblait à ce qu’Hitler faisait dans les années 30. Vous avez pris ça comme une injure suprême, en tant que citoyen et Président Russe ? »

Bon. Que répondre à quelqu’un qui vous traite à demi-mot de nazi ? Pas grand-chose. Il est préférable d’éviter la discussion, tout simplement. Et pourtant… Qu’Hilary compare Poutine avec Hitler, ça passe. Mais que Poutine déclare ne pas vouloir discuter avec une femme qui l’insulte, ça ne passe pas. Premier couac.

Toutefois, nous réagissons-là à la traduction prêtée aux mots de Poutine. Que dit-il vraiment, dans sa propre langue ? Voici la retranscription de la phrase exacte prononcée par Poutine :

« С женщинами лучше не спорить и лучше не вступать с ними в пререкания. »

Traduction : le mot litigieux « спорить » (prononcez « Sporite ») signifie discuter, débattre, mais aussi disputer. Tandis que le premier sens semble s’imposer, certaines sources indiquent d’autres choix de traduction.

Pourtant, juste après ce terme équivoque, Poutine utilise l’expression « вступать … в пререкания » (prononcez « Vstoupate V Prepekania »), qui veut dire entrer dans un conflit, et bien synonyme de… se disputer. Pas d’ambiguïté. Deuxième couac.

La teneur de l’échange s’éclaircit : là où Poutine explique qu’il préfère éviter un conflit personnel, nous percevons une nouvelle provocation.

Si Poutine a accepté cette interview, c’est précisément pour reconstruire son image salement détériorée dans nos médias. Et tenter d’apaiser les tensions qui montent inévitablement. Mais nous avons tant de mal à concevoir un Poutine pacifique que nous cherchons dans ses propos ou son attitude tout élément confortant l’image belliciste que les médias nous ont amené à nous forger. Tandis qu’il s’efforce de ne pas mettre d’huile sur le feu, nous avons l’impression qu’il y déverse ses oléoducs. Troisième couac.

Loin d’être anecdotique, le fait de nous être focalisés sur cette petite phrase (sur 30mn d’interview…) révèle à quel point les médias façonnent l’image que nous nous faisons de certaines personnalités, conditionnant par-là l’opinion portée sur leurs actions. Bien souvent au détriment d’une réflexion plus profonde sur les fondements des dites actions. Couac couac couac.

Vladimir Poutine : Il est préférable de ne pas débattre avec les femmes

[amazon_link asins=’272981440X,2754072527,2729887342,2035916119,2842592182′ template=’ProductCarousel’ store=’panier-21′ marketplace=’FR’ link_id=’1d0a66ce-0fa9-11e7-b5c0-5f3b93e50f9a’]

Partagez sur vos réseaux