Education

Paroles de femmes, langage des cités

L’école résume ses missions élémentaires dans le triptyque : lire, écrire, compter… Et parler ? En novembre 2011, la chaîne Public Sénat a diffusé un documentaire d’Hélène Milano intitulé Les roses noires. Cela fait déjà des années, et pourtant, malgré des évolutions indéniables dans l’Education nationale, ce documentaire semble ne pas avoir pris la moindre ride…

Toute personne se destinant à l’enseignement dans le primaire ou le secondaire devrait voir ce film. Avant d’aller plus loin, visionnez au moins la bande-annonce (en cherchant un peu sur le net, vous devriez facilement trouver le documentaire complet en streaming gratuit) :

La réalisatrice donne la parole à des adolescentes de 13 à 18 ans, ayant grandi et vivant dans les banlieues de Marseille ou Paris, et dont les parents sont pour la plupart d’origine immigrée. Elles expriment un véritable malaise par rapport à la langue « officielle » – autrement dit l’expression correcte du français -, et tente de justifier leur refuge dans une langue propre à leur cité, faite comme elles disent d’un « mix de langues » et de recomposition des mots (termes et racines d’origines étrangères, verlan, néologismes…).

Claudie, 18 ans (Le Blanc Mesnil), fait part de son ressenti : « Nous on arrive sur Paris, directement ils nous entendent ils savent qu’on vient du neuf trois (93)… Les gens de Paris, eux, ils ont plus un parlé… Ils parlent correctement. Parce que, voilà, ils ont une façon de parler, une façon de se tenir, ou quoi que ce soit… Qui n’est pas du tout la même que la nôtre ».

Sébé, 16 ans, de Montfermeil, revendique une langue propre à sa cité, mais en perçoit aussi les risques et les limites : « Je pense que la langue joue un grand rôle, elle nous unit. La langue qu’on a choisi aujourd’hui de parler dans la cité c’est bien qu’elle ne soit pas comprise par tout le monde, mais en fait des fois la manière dont on l’emploie, elle a l’air d’être agressive, les gens disent que c’est pas un bon langage, c’est pas du bon français… Et ça peut aussi être un inconvénient… » Elle explique un peu plus loin : « Pour moi un langage bourge c’est… Parler avec des mots soutenus. J’dirai c’est pas par les gens civilisés, parce que moi j’veux pas dire qu’on n’est pas civilisé, mais par les gens… Par les Français. Enfin non j’peux pas dire ça parce que je suis française aussi, mais… Par les gens qui ne viennent pas des banlieues en fait ».

Sarah, 17 ans, de Saint Denis, présente le périphérique comme un véritable barrage, une séparation entre deux mondes : « Les Parisiens et les Banlieusards, ils communiquent pas, ils ne peuvent pas se comprendre. Et puis c’est pire qu’une frontière, c’est un mur : il faut un code pour passer. Ouais c’est un langage soutenu, ceux de Paris ils parlent pas comme nous. On sent que… On sent que c’est des gens, des gens civilisés tu vois… Ils ont eu une éducation pas comme la nôtre tu vois. Ils sont bien, ils parlent bien… Moi j’aimerais bien savoir parler comme eux ».

« Pourtant, on était tous dans la même école », comme le fait remarquer une autre jeune marseillaise…

Dans l’idéal, l’école devrait fournir à chaque (futur) citoyen les pleins moyens de s’exprimer avec aisance – autrement dit l’éloquence. Cela désigne tout autant la richesse du vocabulaire, la possibilité de choisir le bon mot pour exprimer précisément ses idées, la faculté de les agencer correctement, de formuler des phrases harmonieuses, grammaticalement correctes et cohérentes, et d’être suffisamment certains de ses propres qualités d’expression pour oser prendre la parole chaque fois qu’il le faut.

D’une certaine façon,  l’école nous a rendu timides et de là découle aussi, au moins en partie, le malaise social que nous connaissons en France… L’aisance à l’oral pourrait-elle en être un remède ?

Documentaire les roses noires langage des cités

Partagez sur vos réseaux

La nouvelle épreuve du Grand Oral du bac en France

Dès 2021, le Grand Oral du bac sera l’épreuve qui viendra conclure les années de lycée des jeunes Français. Plus qu’un simple test de contrôle de connaissances, celui-ci est conçu pour tester les capacités argumentatives et orales des futurs bacheliers. Pour mieux en appréhender le concept, focus sur son principe, son déroulement et ce qu’il faut faire pour s’y préparer. 

Qu’est-ce que cette nouvelle épreuve du bac ?

Il s’agit d’une épreuve faisant partie des nouvelles réformes du baccalauréat français. Celle-ci rentre en vigueur dès les sessions de 2021. Cette épreuve s’adresse tant aux terminales générales que technologiques. Son principe est simple : elle vise à inculquer l’art oratoire aux lycéens de dernière année. 

Durant 20 minutes, les candidats au Grand Oral Blanc du bac devront s’exprimer en public et argumenter sur 2 sujets de leur choix. Ces sujets auront un lien avec leurs spécialités et leurs centres d’intérêt. 

Ainsi, cette nouvelle épreuve consiste à évaluer, d’une part, les connaissances des élèves de terminales et, d’autre part, leur aisance à l’oral et leur capacité à convaincre. Elle fait partie des 5 épreuves finales du bac qui équivalent aux 3/5 de leur note finale au bac. Pour la voie générale, cette épreuve compte pour un coefficient 10. Pour la voie technologique, c’est un coefficient 14. Autant le dire tout de suite : cette épreuve peut être un moyen de gagner facilement de précieux points qui feront monter la moyenne ! A condition de s’y être correctement préparé, et de ne pas être surpris par son déroulement le jour J…

Bacheliers, ne vous inquiétez pas : avec la bonne méthode et les bonnes techniques d’art oratoire, et pourquoi pas avec l’aide d’un coach en éloquence pour préparer cette épreuve si particulière, il n’est pas déraisonnable de viser un 20 sur 20 au grand oral du bac !

Comment se déroule l’épreuve du Grand Oral blanc ?

Comme le site de l’Éducation nationale l’explique, cet examen se fait en 3 temps :

En amont, le candidat devra traiter 2 questions avec ses professeurs durant ses heures de cours. Ces questions se rapportent à 2 spécialités ou matières préalablement choisies par l’élève. Pour la voie générale, elles doivent se référer à l’une de ces spécialités ou aux 2 en même temps. Pour la voie technologique, ces questions renvoient à l’une des spécialités de la série de l’élève. Le jour J, le jury pourra choisir entre les 2 questions proposées. Par la suite, le candidat an20 minutes pour se préparer et créer un support de présentation. Ce support peut être une carte, un schéma ou un graphique. Passé ce délai, le candidat dispose de 5 minutes pour présenter la raison derrière le choix de la question. Il devra également y répondre et argumenter ses dires.

Dans un second temps, le jury se réservera 10 minutes pour interroger l’élève sur sa présentation. Celui-ci devra répondre sans notes. Il devra développer sa pensée de sorte à mettre en valeur ses connaissances sur les spécialités choisies ainsi que ses capacités à convaincre. 

Dans un dernier temps, le candidat aura 5 minutes pour exposer l’intérêt de sa question quant à ses projets de poursuite d’études et éventuellement, de ses orientations professionnelles. Ici, on jaugera sa motivation personnelle et sa manière d’exprimer un point de vue personnel. 

Comment s’y préparer en tant que lycéen ?

Pour garantir leur réussite au bac, les candidats devront s’exercer. Cela signifie apprendre les bonnes postures et gestuelles. Les terminales auront besoin de travailler leur élocution et surtout, d’être capable d’enchaîner les arguments de façon logique. Pour cela, ils doivent s’entrainer dès la classe de première. Ils auront à se documenter et à s’exercer en cours ou durant leur temps libre. Cette préparation peut se faire tant individuellement qu’en collectif. S’y mettre à plusieurs permettra toutefois de travailler son discours en public, de parfaire les détails de son exposé et de le mettre en scène. 

Grosso modo, cette épreuve teste les compétences orales, la capacité à prendre la parole en continu, la qualité des connaissances, la qualité des interactions et les aptitudes à argumenter de l’élève. Pour la réussir haut-la-main, il faut savoir captiver son auditoire et parler sans notes tout en maîtrisant son sujet. 

Comment suivre les progrès et accompagner son enfant en tant que parents ?

Pour accompagner son enfant dans cette nouvelle aventure, les parents doivent les mettre en confiance. Pour ce faire, ils peuvent l’aider à travailler ses capacités oratoires en lui servant d’auditoire. Sinon, ils peuvent se contenter de l’assister pour mieux faire face au stress. Ils peuvent aussi les stimuler de sorte à garder leur motivation. 

Et si votre jeune bachelier d’enfant prend du plaisir à préparer cette épreuve et que cela se révèle être un succès, alors qui sait, peut-être que cela suscitera une vocation comme devenir conférencier professionnel !

Ce que vous devez retenir :

Le Grand Oral blanc du bac se réalise en trois étapes : présentation, échanges avec le jury et intérêt des questions vis-à-vis des projets d’avenir de l’élève. Cette épreuve vise à évaluer les capacités oratoires du futur bachelier. Elle est rentrée en vigueur à partir des sessions de 2021. Cet examen oral se centre sur 2 questions établies par le candidat et gravitant autour 2 spécialités choisies par ses soins. L’épreuve se passe en 20 minutes d’évaluation et 20 minutes de préparation. 

Le déroulement et les modalités de cette épreuve, encore quelque peu « expérimentale » à l’heure où nous écrivons ces lignes, vont certainement être amenés à évoluer au fil des années qui suivent. Quoi qu’il en soit, pour bien s’y préparer, il faudra toujours du travail et de la rigueur, et ce dès la classe de première !

Partagez sur vos réseaux

Aisance à l’oral : un remède au malaise social ?

Dans le courant de l’année 2011, une publicité assez angoissante fut diffusée à la télévision. Les scènes se déroulent dans des endroits habituellement bondés : la galerie d’un centre commercial, une autoroute, des bureaux d’entreprise, une cantine…

Sauf que là, il n’y a personne. Tout est désert, ou presque. Vision d’une sorte d’univers post-apocalyptique avec, au centre, un homme, seul, absolument seul, qui dépérit.

L’image est forte : il s’agit de montrer que par-delà le monde, à travers la foule, certaines personnes peuvent demeurer seules, en ayant cette terrible sensation, tout le temps, d’être abandonnées à elles-mêmes.

Cette publicité était diffusée dans le cadre d’une campagne contre un mal invisible : la solitude – décrétée grande cause nationale 2011 par la Société de Saint-Vincent-de-Paul.

En quoi la solitude est-elle un mal invisible ? Parce qu’elle est le fait – ou plutôt le non-fait – de ne pas communiquer, de ne pas pouvoir parler avec les autres. La parole est déjà en soi quelque chose d’insaisissable, immatérielle, évanescente… Un simple son qui s’envole à peine prononcé… Alors l’absence de parole se remarque d’autant moins…

C’est pourquoi la solitude est si difficile à repérer. On peut voir quelqu’un qui se fait agresser, tandis qu’un individu seul est quelqu’un qui disparaît de la société. Et pourtant, comme il est rappelé dans cette publicité, 1 personne sur 3 en souffre.

Le moyen pour combattre la solitude est pourtant si simple :

Ce qui compte, ce n’est pas d’être rassemblés en un seul endroit, dans un bar, une soirée, une manif, mais d’interagir les uns avec les autres. Le slogan de la campagne est d’ailleurs très bien trouvé, clair et percutant : « Contre la solitude, nous sommes tous la solution ». Un sourire ne coûte rien. Un regard ne coûte rien. Un mot gentil, une simple parole, une invitation à la discussion ne coûte rien. Et pourtant cela constitue l’essence même de la vie. Ça n’a pas de prix.

Pourquoi je vous parle de ça aujourd’hui ? Quel rapport avec l’éloquence ?

L’éloquence, c’est l’art de bien parler. C’est une forme d’aisance à l’oral clairement mondaine, donc caractéristique de personnes bien « intégrées » qui n’ont a priori pas à se sentir concernées par la solitude. Mais devient-on éloquent parce qu’on est mondain, ou peut-on devenir mondain parce qu’on est éloquent ?

En effet, pour « bien parler », encore faut-il parler tout court. Et les deux sont aussi liés dans le sens inverse : certaines personnes, pensant ne pas bien parler – ne pas s’exprimer comme il faut, ne pas maîtriser un certain vocabulaire, certaines références, ou encore souffrir d’un fort accent -, préfèrent ne pas parler du tout et redoutent même d’avoir à s’exprimer. Elles ne sont pas exclues parce que personne ne leur parle : elles s’auto-excluent en évitant de parler, de répondre, de s’engager dans une conversation libre et spontanée. Certaines pourraient même percevoir toute invitation à ce type d’échange comme une forme d’agression, et réagir violemment…

La France, pays de l’élégance, de l’éloquence et de la séduction, est devenue une société de timides, d’individus mal à l’aise qui peinent, ou craignent d’interagir trop spontanément, trop librement… La peur se diffuse dans toute la société, à travers les discours sur l’insécurité, le risque d’être abordé par un inconnu, de parler avec quelqu’un qu’on ne connaît pas… La France est malade de cette peur. Elle en meurt.

Preuve de cette timidité ? On entend parfois la rengaine selon laquelle « les hommes ne savent plus séduire »… Mais dans ce cas les femmes non plus ne savent plus « se laisser séduire »… Preuve du malaise social ? Les hommes politiques ne font plus rêver. Les professeurs ne savent plus réveiller leurs élèves. Plus personnes ne semble trouver les mots, pas même ceux que l’on désignent comme nos « orateurs » officiels… Les passagers des transports en public n’osent plus se saluer, ni même se regarder ; aucun n’osera réagir face à un gêneur, tous fermeront leur gueule…

La peur, la timidité, l’absence de pratique et d’entraînement à l’expression orale, la méconnaissance de certaines techniques de communication pourtant simples (communication non violente, écoute active, gestion des personnalités difficiles…) : voilà quelques unes des causes principales d’un mal-être général et invisible qui gangrène la société toute entière.

Face à cette situation : que faire ?

Le but est de réveiller, de libérer la parole. Réhabiliter l’expression orale comme une pratique à part entière, à laquelle s’exercer dès le plus jeune âge. Instaurer des classes de conversation à l’école, au collège et au lycée. Proposer à chacun d’acquérir des techniques de communication élémentaires. En faire un critère pour se former à la citoyenneté. Renouer des liens sociaux détruits par la peur, la timidité, l’inquiétude. Ne plus écouter les discours alarmistes des hommes politiques, mais chercher la solution en nous, dans notre capacité à aller vers les autres. En un mot : OSER. Osons briser les barrières, les distances, les codes. Unissons-nous dans un libre échange de paroles et d’idées.

Nous sommes tous la solution.

Partagez sur vos réseaux

Dépasser les difficultés de l’art oratoire

Comme son nom l’indique, l’art oratoire est un art. C’est-à-dire qu’on ne peut pas complètement le théoriser. Ce n’est pas une science infaillible. On ne peut l’apprendre exclusivement à travers les livres (ou un blog…!). Un art doit se pratiquer, le plus possible. C’est un exercice concret auquel il faut se consacrer avec régularité, chaque jour si possible.

Certaines personnes pensent qu’elles n’ont « pas le temps » de se consacrer à l’art oratoire, ne serait-ce que quelques minutes par jour ou quelques heures par semaine. Certes, la vie professionnelle a ses contraintes et ses exigences, et il est évident qu’à partir d’un certain âge il est de plus en plus difficile de dégager du temps « pour soi ». Mais qui a dit qu’il fallait s’y mettre à 30 ou 35 ans ? Du temps, nous en avons ! Plus qu’il n’en faut ! Quand ça ? Où ça ? A l’école ! Quand on est enfant !

Dès l’école maternelle, nous avons des heures et des heures, des journées entières à occuper, tout au long de l’année. Notre scolarité s’étend sur une vingtaine d’années en moyenne : nous avons donc énormément de temps pour travailler les aptitudes fondamentales qui feront de nous les citoyens épanouis et engagés que l’on souhaite voir évoluer dans notre société !

Dire que ce n’est pas possible est un mensonge. C’est un refus politique motivé pour d’obscures raisons. Si nous sommes parfaitement honnêtes, nous devons reconnaître que nous gâchons purement et simplement une immense partie de notre temps si précieux au cours d’une scolarité qui ne sert quasiment à rien. Pire : l’école est contre-productive lorsqu’elle brime les élèves, lorsqu’elle étouffe leur créativité, lorsqu’elle conditionne leurs esprits encore malléables à leur jeune âge pour en faire de docile petits travailleurs et fonctionnaires.

D’une façon étonnante, ce qui distingue le contenu des enseignements dans l’éducation nationale française par rapport aux enseignements anglo-saxons, c’est le rapport à la communication et à la participation orale des élèves. L’art oratoire semble superflu, et pourtant, tout le monde se rend compte du trac et du stress éprouvé lorsqu’il s’agit de prendre la parole face à d’autres personnes : malaise de l’adolescent qui veut aborder un ou une inconnue pour tenter de le ou la séduire… Stress de l’employé qui doit faire face à un client difficile… Angoisse de devoir intervenir en réunion pour présenter un projet… Envie de disparaître lorsqu’il s’agit de monter sur scène pour parler lors d’une Assemblée Générale…

Nous pourrions facilement corriger ces difficultés si nous décidions de travailler efficacement l’art oratoire dès les premières classes à l’école. Pourtant, cet art si difficile et si important est aussi le moins étudié, et le moins bien enseigné. Le problème à l’oral est un problème très français.

Dans la plupart des autres pays européens (Espagne, Grèce, Angleterre…), l’exposé oral est le mode principal de contrôle des connaissances. Il y a peu de dissertations, plutôt des questionnaires. Tandis qu’en France, le système de contrôle éducatif repose surtout sur l’écrit. On condamne la liberté de l’expression orale. On prétend vouloir éviter le « blabla », on interdit les « bavardages », on punit les élèves qui chuchotent entre eux… Et d’un autre côté on prétend vouloir favoriser l’expression de chacun, on prétend vouloir permettre aux citoyens de s’exprimer, on prétend les « consulter » sur tous les sujets… Contradiction, quand tu nous tient !

Car l’éducation française finit par produire du trac. Pour les Français, le trac est profondément ancré en chacun de nous. Il est inversement proportionnel à notre faible pratique de l’oral : moins on prend la parole en public, et plus on a peur de le faire, c’est hélas tout à fait normal…

Dans un autre domaine, la peur est également présente : dans le sport, et la tension extrême des compétitions. Les sportifs connaissent en effet un phénomène analogue au trac lors des compétitions. Outre la difficulté des gestes et mouvements propres au sport en question, l’un des facteurs clefs du succès est la gestion de son stress et de ses émotions. L’effort physique augmente déjà le rythme cardiaque. Si un sportif se laisse submerger par le stress, son rythme cardiaque devient tel qu’il s’épuise et s’essouffle avant même d’avoir effectué le moindre mouvement. Et comment font les sportifs pour face à ce problème ? Il n’y a pas de meilleure préparation qu’un entrainement régulier. En s’exposant régulièrement à la pression des compétitions, ils en font progressivement une habitude. Et lorsqu’ils sont habitués, ces moments sont moins difficiles à affronter, tout simplement.

En art oratoire c’est exactement la même chose : on ne devient pas forcément « meilleur » ou plus éloquent en pratiquant beaucoup, mais au moins on gomme progressivement le trac, on le rend moins paralysant, on s’habitue à ce stress et on gagne petit à petit en aisance. Une fois qu’on se sent plus à l’aise, on peut enfin travailler sa voix, ses gestes et sa rhétorique pour augmenter son impact à l’oral et offrir à ses interlocuteurs de vrais moments d’éloquence.

Pourtant, la parole en public n’est pas étrangère à une certaine tradition européenne. C’est même une tradition qui remonte jusqu’aux grands penseurs de la Grèce antique : Corax, Gorgias, Démosthène… Socrate n’a laissé aucun écrit. Sa philosophie était une philosophie incarnée, une philosophie qui prenait forme dans les dialogues et discussions animées qu’il avait avec ses contradicteurs comme ses admirateurs.

Socrate, philosophe ayant vécu au Ve siècle avant J.C., est à l’origine de la philosophie et de nos conceptions politiques fondamentales en Occident. Virtuose de la parole, il n’a laissé aucun écrit. Sa pensée a pourtant marqué les esprits à travers les siècles. A Athènes, la politique était rythmée par les débats publics. Démosthène fur un modèle d’orateur pour Cicéron, qui reprit quelques siècles plus tard les grands principes élémentaires de la rhétorique d’Aristote.

Homme d’Etat un siècle avant J.C., Cicéron était un modèle d’éloquence. Il a rédigé de nombreux ouvrages sur la rhétorique et l’art de convaincre. Démosthène est un homme d’Etat de l’Athènes de la Grèce antique Opposant de Philippe II de Macédoine, il est un éminent représentant de ceux que l’on appelle les orateurs « attiques ».

Le général De Gaulle était un orateur hors pair. Il maîtrisait la puissance de la voix, jouait de son regard, et sa gestuelle transmettait les émotions qui vibraient en lui. Ce grand chef politique avait fait de la parole son outil privilégié pour le combat des idées.

C’est donc dans notre propre histoire, et plus exactement dans notre histoire intellectuelle, que nous pouvons trouver les ressources pour réhabiliter l’expression orale comme véritable tradition européenne et française. Sur ces bases, nous pourrons reconstruire la parole politique et donner à chaque citoyen les moyens de faire advenir à travers leur aisance et leurs engagements la société réellement démocratique que prétendent appeler de leurs vœux nos politiques.

Photo : Miroslav Petrasko

Partagez sur vos réseaux

Le trac : une maladie française ?

Depuis tout petit on nous dit de nous taire, de laisser parler les « grands »… Ce n’est pas exactement le silence qui est érigé en vertu, mais la retenue dans la parole. Être trop bruyant, trop parler lors d’un diner avec les parents, cela pouvait nous valoir une correction.

A l’école, c’était pire : les professeurs qui ne savaient pas nous captiver, trop souvent à cause de leur propre manque d’intérêt, s’excitaient par contre avec passion pour nous faire cesser de bavarder. Ils semblaient craintifs face aux levées de mains pour les questions, et dénigraient les plus embarrassantes, ce qui n’incitait pas à la participation.

Alors l’immense majorité finit par redouter de s’exprimer, ou de poser trop de questions. Peu sollicités à l’oral, exclusivement évalués à l’écrit, les élèves Français deviennent timides et redoutent de prendre la parole en public. Et ce stress est entretenu tout au long de la vie par les futurs supérieurs hiérarchiques et autres représentants de l’autorité, à la suite des maîtres et maîtresses d’école…

Les Français aiment à présenter leur pays comme celui de la révolution ; les étrangers sont d’autant plus stupéfaits d’en découvrir la situation de sclérose et le malaise social qui s’y impose. L’auteur anglophone Peter Gumbel, grand reporter à Time Magazine, a attaqué le système éducatif français dans un essai corrosif : On achève bien les écoliers

Depuis qu’il s’est installé à Paris en 2002, il s’est en effet heurté aux méfaits de l’Éducation nationale à travers la scolarisation de ses filles : il a remarqué chez elles une augmentation du stress, un manque de motivation, et des limitations dans les prises d’initiatives ou leur libre expression. Et, s’appuyant sur nombre d’enquêtes et de statistiques, il découvre que ce problème concerne en réalité tous les écoliers.

Il dénonce une approche éducative basée sur l’humiliation, la pression des notes, et le faible engouement des profs.

Lorsque Peter Gumbel devient lui-même enseignant, pénétrant ainsi l’envers du décors, il en découvre les ravages à tous les niveaux, même chez les étudiants jugés les plus brillants. Se confiant au Journal du Dimanche, il raconte : « J’ai commencé à enseigner, notamment à Sciences-Po, l’élite. J’ai été surpris par le fait que les étudiants français avaient un mal fou à participer, à prendre la parole. Depuis la petite école, le système rend les élèves français réticents à la participation. Ils n’ont pas confiance en eux. »

A partir d’un constat similaire, Stéphane André rapporte une anecdote significative dans son ouvrage Le secret des orateurs

Régulièrement sollicité pour donner des conférences sur l’art oratoire, il lui arrive lors de celles-ci d’inviter une personne du public à prendre sa place et à s’exprimer face aux autres le temps de quelques minutes. Néanmoins, habitué à un public français, il peine généralement à trouver un volontaire. Quasiment personne ne semble vouloir parler en public ; personne n’est prêt à s’exposer ainsi. Or, il eut un jour l’occasion de donner une conférence à un public fort différent, essentiellement composé de Nigérians…

…L’évènement se tenait dans l’amphithéâtre d’une grande école de commerce et s’adressait à de futurs cadres originaires d’Afrique. Au cours de son intervention, Stéphane André proposa à qui voulait parmi l’assemblée de venir le rejoindre au niveau du pupitre, et prit pour cela toutes les précautions d’usage – de politesse et de propos rassurants – afin de ne pas rebuter l’éventuel candidat. Quelle ne fût pas sa surprise de voir alors l’ensemble de l’amphi se lever en bloc, avide de se livrer à ce genre d’exercice !

Il explique ce moment : « Je compris tout d’un coup que ces gens-là ne ressentaient pas une once de trac à l’idée de parler en public, fût-ce devant cent personnes. Ces gens-là étaient des Africains. Ils s’avançaient joyeusement vers la tribune, lieu de tous les périls pour l’orateur européen. On ne leur avait jamais inculqué l’idée du danger qu’il pouvait y avoir à parler en public. Ils n’avaient pas été élevés comme les petits Français. »

Et ajoute un peu plus loin : « Tant que le milieu scolaire n’aura pas décidé de se pencher sérieusement sur le problème de la formation de nos orateurs, la culture française de l’oral restera ce qu’elle est »… Stéphane André déduit de cette expérience que le trac n’est pas naturel, et dépend en réalité d’un apprentissage culturel.

Le trac est cependant ancré en nous à un tel point qu’il devient comme une seconde nature. C’est un trait possible de ce que le sociologue Pierre Bourdieu désignait par habitus, c’est-à-dire quand un conditionnement culturel finit par se confondre avec une prédisposition naturelle.

L’habitus des Français serait de ne pas savoir parler sans trembler… Et ce qui pourrait expliquer ce phénomène, dans notre culture et tout particulièrement dans l’univers scolaire et universitaire, est la prédominance de l’écrit sur l’oral

Partagez sur vos réseaux