Voix

L’art de l’intonation, la leçon de Cyrano

« Que dis-je, un cap ? un roc ? c’est une péninsule ! » – Sur la photo ci-dessus : Gérard Depardieu dans le rôle de Cyrano, donnant ici la réplique à Philippe Volter jouant le Vicomte de Valvert –

Cyrano est un poète, beau parleur, maniant aussi bien l’épée que la plume et les mots, bref, un bretteur dans tous les sens du terme. Il a de l’esprit, de la répartie, et n’hésite pas à défier ses ennemis, prêt à les ridiculiser lors d’un duel ou d’un débat.

Ce bagout compense un complexe : la taille démesurée de son nez ! Sensible à la moindre moquerie visant l’hypertrophie de son appendice nasal, il réagit au quart de tour.

Dans un passage célèbre, Cyrano se moque lui-même de son nez, pour donner à un sot une leçon d’esprit (acte I, scène 4 de la pièce d’Edmond Rostand). Il se trouve que ce passage, certainement l’un des plus drôles du théâtre français, est aussi l’un des meilleurs pour travailler son intonation

L’intonation, qu’est-ce c’est ? C’est le ton que l’on utilise en parlant. Plus précisément, c’est le mouvement musical de la phrase caractérisé par les variations de la hauteur des voyelles (grave ou aiguë). Selon l’inflexion de la voix, les mêmes mots peuvent exprimer des sentiments différents. L’art de l’intonation consiste donc à trouver la bonne « mélodie » en fonction de ce que l’on veut dire.

Et c’est exactement ce qu’invite à faire Cyrano dans sa fameuse « tirade du nez », pleine d’ironie, en réponse au Vicomte de Valvert qui tente, donc, de l’attaquer sur son physique. Voir l’extrait du film ici (Gérard Depardieu dans le rôle de Cyrano, Philippe Volter dans celui du Vicomte de Valvert, 1990) : https://youtu.be/p9BvxVYa3ug

Voir aussi cette magnifique interprétation par Jean Piat (1964) :

Exercice : lire (ou mieux : réciter) le texte ci-dessous en trouvant l’intonation correspondant à chaque sentiment proposé par Cyrano… Puis, une fois associée à chaque formule sa « mélodie », intervertir les dites mélodies et, par exemple, prononcer sur un ton agressif la formule amicale et vice-versa, etc.

Le vicomte, s’avançant vers Cyrano

Vous…vous avez un nez… heu…. un nez… très grand.

Cyrano, gravement

Très.

Le vicomte, riant

Ha !

Cyrano, imperturbable

C’est tout ?…

Le Vicomte

Mais…

Cyrano

Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu !… Bien des choses en somme.
En variant le ton ; par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez
Il faudrait sur-le-champ que je l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse :
Pour boire, faites-vous fabriquer un Hanape ! »
Descriptif : « C’est un roc!… C’est un pic!… C’est un cap!…
Que dis-je, c’est un cap?… C’est une péninsule! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes? »
Truculent : « Ca, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Pédant : « L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
Appelle Hippocampéléphantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! »
Cavalier : « Quoi, l’ami, ce croc est à la mode?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! »
Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral,
T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! »
Dramatique : « C’est la mer Rouge quand il saigne ! »
Admiratif : « Pour un parfumeur, qu’elle enseigne ! »
Lyrique : « Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? »
Naïf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? »
Respectueux : « Souffrez, monsieur, qu’on vous salue,
C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! »
Campagnard : « Hé, ardé ! C’est-y un nez ? Nanain !
c’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! »
Militaire : « Pointez contre cavalerie ! »
Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! »
(…)
Voila ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit.
Mais d’esprit, Ô le plus lamentable des êtres,
Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettre
Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot !
Eussiez-vous eu, d’ailleurs, I’invention qu’il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n’en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d’une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.

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Pourquoi et comment dompter votre langue : amusez-vous avec ces 6 petits exercices d’articulation linguale !

L’une des bases de l’art oratoire, c’est d’apprendre à articuler. Quiconque veut devenir bon orateur se doit de travailler régulièrement son articulation.

A vrai dire, sans articulation : pas de parole !

Une mauvaise articulation rend inutiles les meilleures qualités de la voix. Peu importe les subtilités de votre argumentation ou la puissance de vos idées si vous n’êtes pas capable de les exprimer autrement que sous forme de bouillie sonore, parce que vous articulez mal.

C’est l’articulation qui donne de la clarté, de l’énergie, de la passion ou de l’ardeur à vos propos. Une bonne articulation peut même compenser une voix faible, même face à un grand auditoire. On préfère une voix basse mais distincte, à une voix forte mais incompréhensible… (l’idéal est toutefois une voix forte et distincte !)

Pour travailler votre articulation, il faut pratiquer régulièrement une forme de gymnastique buccale. Et comme pour la vraie gym, il faut différents exercices pour les différentes parties du corps. De la même façon que l’on travaille séparément les abdos, les fessiers, les dorsaux, etc., le but de la gymnastique buccale est d’apprendre à travailler spécifiquement sur les lèvres, la mâchoire, la langue

Voici donc quelques petits exercices que je vous recommande de faire régulièrement, pour dompter progressivement votre langue et l’assouplir :

Exercice 1

Commencez par vous échauffer en prononçant des « La La La… » et en faisant bien claquer la langue à chaque fois.

Exercice 2

Faites le test : imaginez une bougie, et soufflez dessus comme si vous vouliez l’éteindre. Vous êtes probablement en train de faire un petit rond avec vos lèvres, un petit « O » (en « cul-de-poule »). Et il est également probable que votre langue se resserre, comme pour former un demi-tube dans votre bouche. Or, il est inutile de rétrécir sa langue pour serrer ses lèvres : vous comprenez donc l’intérêt de la gym buccale pour vous entraîner à dissocier ces différents muscles buccaux, et à les utiliser de façon indépendante. Soufflez de nouveau, mais en vous appliquant à garder la langue bien plate.

Exercice 3

Ouvrez ensuite la bouche, tout en vous tenant les lèvres et la mâchoire inférieure. Tirez alors la langue aussi longue que possible, et ramenez-la brusquement pour la laisser reposer plate et basse, l’extrémité en contact avec les dents de la mâchoire inférieure. Recommencez plusieurs fois. Vous pouvez vous entraîner avec une sucette, c’est encore plus amusant : placez la sucette devant votre bouche, et tirez la langue pour la lécher… Puis éloignez progressivement la sucette, toujours plus loin, sans décoller la langue !

Exercice 4

La pointe fortement appuyée contre les dents de la mâchoire inférieure, projetez la langue en dehors, autant que possible de façon à l’enrouler complètement (par le dessous) et ramenez-la brusquement en arrière comme dans l’exercice précédent. Répétez 7 à 8 fois.

Exercice 5

La base de la langue maintenue aussi plate que possible, relevez-en la pointe lentement dans une position perpendiculaire au palais. Puis ramenez-la par degrés jusqu’à ce qu’elle ait repris sa situation première. Répétez une dizaine de fois.

Exercice 6

Élevez l’extrémité de la langue, comme dans l’exercice précédent, et déplacez-la graduellement d’un côté à l’autre, de façon que la pointe décrive un demi-cercle. A faire dix fois, aller et retour. Vous pouvez reproduire les exercices 5 et 6 avec une sucette dans la bouche, cela pourra même vous aider les premières fois !

Essayez de faire ces exercices quotidiennement, ou au minimum 3 à 4 fois par semaine. Réservez-vous à chaque fois 10 bonnes minutes spécialement pour cela. Ces exercices sont également très bons en guise d’échauffements, juste avant une prise de parole en public.

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