Parler et bien parler sont deux choses très différentes. Le langage est le propre de l’homme, mais tout le monde n’en manie pas pour autant toutes les subtilités avec la même facilité.
Dans sa forme vulgaire, la parole peut causer des torts, créer des conflits, être source des malentendus ; bien maniée, elle s’affirme à l’inverse comme le plus puissant des outils au service d’une idée ou d’un projet.
C’est pourquoi l’art de la parole est fondamental. C’est peut-être le plus important de tous les arts. Pourtant, c’est aussi le moins étudié, et le moins bien enseigné…
Le problème à l’oral semble être un problème typiquement français. Dans la tradition anglo-saxonne, ou dans quelques pays européens comme l’Espagne par exemple, l’exposé oral est le mode principal de contrôle des connaissances. Il y a peu de dissertations, au pire quelques « QCM »…
Les élèves américain sont sollicités à l’oral dès leur plus jeune âge. A l’école primaire ils pratiquent régulièrement le « Show and tell », exercice typique qui consiste pour chacun à apporter en classe un objet, à le montrer aux autres et à leur en parler, tout simplement.
A l’inverse, en France, notre système éducatif repose essentiellement sur l’écrit. Depuis les rédactions à l’école et au collège jusqu’aux rapports de stage au lycée puis à l’université, nous sommes constamment évalués sur notre capacité à écrire, à noircir des pages, à produire des textes et des textes… (qui ne seront à leur tour même pas toujours vraiment lus…)
Les fois où certains professeurs proposent à leurs élèves de les noter sur un exposé, ceux-ci doivent encore en remettre une version par écrit, comme si ce qui était formulé à l’oral devait forcément correspondre à une dissertation préalable.
Nous sommes prisonniers de l’écrit, et préparer un discours consiste généralement pour nous à concocter une série de « fiches » desquelles nous décollerons difficilement les yeux lorsque nous passerons derrière le pupitre. Au mieux, celles-ci défileront à la verticale, sur un prompteur. Au pire, nous nous emmêlerons les pinceaux en mélangeant une pile de feuilles volantes gribouillées, ou un jeu de cartons bristol annotés. Variante possible et calamiteuse, le contenu des fiches apparaitra aussi au public, projeté au mur sous forme de document PowerPoint.
Hélas, tous ceux qui procèdent ainsi ne seront jamais que de petits écrivaillons doublés de simples lecteurs, et non de véritables orateurs :
Ainsi bloqués par l’écrit, scotchés à leurs notes, il leur devient difficile d’improviser, de parler librement. Ils risquent à chaque écart de perdre le fil, d’hésiter, bafouiller, enchaîner les blancs, et finalement désintéresser leur public, ce qui dans leur situation se révèle la pire des sanctions.
De là découle évidemment le trac, ancré en chacun de nous, dont l’intensité est inversement proportionnel à notre faible pratique de l’expression orale.
Nous sommes donc face à deux problèmes, intimement liés, et qui paralysent autant l’individu que la société :
Premier problème : l’écriture « fige » ce que nous avons à dire. Le culte du plan en deux ou trois parties – et autant de sous-parties – conditionne notre façon de présenter nos idées, jusqu’à limiter notre façon de penser.
Deuxième problème : durant toute notre éducation, l’expression orale n’étant jamais favorisée en tant que telle, rien ne permet une parole spontanée, et donc rien ne nous prépare aux débats et aux confrontations verbales. Normal que la majorité des Français devienne si timide ou si nulle à l’oral.
Pour y remédier, nous pouvons envisager les mesures suivantes :
1 – Instituer l’apprentissage de l’expression orale comme discipline à part entière dès le plus jeune âge, en mettant en place davantage de « classes de parole » dès la maternelle (des initiatives existent en ce sens, mais à titre expérimental pour la plupart, et restent marginales) ;
2 – Poursuivre cette formation tout au long du cursus scolaire puis universitaire, les « classes de parole » devenant « classes de discussion » et « classes de prise de parole en public », et les notes obtenues dans ce cadre intégrées à la moyenne générale ;
3 – Développer les classes d’Art oratoire complémentaires, pour entraîner toujours plus ceux qui se destinent à un métier pour lequel l’expression orale est centrale (professeur, avocat, officier, postes à responsabilité, etc.) ;
4 – Permettre de consolider et d’approfondir ce travail tout au long de la vie professionnelle et sociale, notamment par une plus grande implication des entreprises dans ce domaine : ne pas « réserver » les stages de communication à certaines fonctions, notamment cadres sup et direction, mais en faire un élément fondamental de formation et d’intégration à tous les échelons, quelle que soit la spécialité, et ce dès la première année d’embauche.