Le monde, comprenez la Terre, ou même l’univers, est souvent comparée a un grand livre. C’est une métaphore a destination des scientifiques qui considèrent qu’il suffit d’observer le monde pour y puiser de la connaissance comme dans un livre ouvert… La métaphore est belle, mais elle pose un problème : si le monde est un livre, c’est un livre tellement grand qu’on ne pourra jamais le lire en entier ! On ne pourra peut-etre même pas terminer un seul petit chapitre le temps d’une vie… Les scientifiques se sont peut-etre resignes a ce fait. Mais le leader doit avoir une vue globale qui embrasse le monde tout entier. L’élaboration de sa vision est a ce prix. Comment faire, donc, pour « lire le livre du monde » sans pour autant lire en diagonale et n’avoir qu’une vue superficielle des choses ? Filons la métaphore jusqu’au bout : si le monde est un livre, est-il obligatoire de le lire totalement, complètement, ligne par ligne et mot par mot ? Pourquoi ne pas le feuilleter, tout simplement, comme nous pouvons le faire avec tant d’autres livres, pour passer en revue une bibliothèque entière ? Vous me suivez ?
Avoir une vision, c’est se représenter le monde tel qu’il est, d’une part, et tel qu’il peut être, d’autre part. Et c’est surtout de pouvoir montrer, faire voir, le chemin qui mène de l’un a l’autre. C’est cela la vision, « avoir une Vision » avec un grand V, et c’est pour cela que c’est si important pour s’affirmer en tant que leader. Le leader devient un guide vers un monde meilleur en ces temps incertains… La vision du leader lui permet de voir cet au-dela, ce nouveau lieu. Mais… Un lieu n’existe pas en soi : il existe par la relation que l’on entretient avec lui… La réalité existe par les rapports que nous entretenons avec elle, puisqu’elle n’y est que lorsque nous y sommes… Le leader doit donc s’efforcer de préserver de bonnes relations avec la réalité, de même avec ce lieu auquel il veut nous conduire.
Le leader doit toujours oeuvre en direction de l’achèvement de sa quête, sans jamais vraiment y parvenir, sans jamais pouvoir l’achever, car c’est c’est cet inachevé qui lui permet de continuer a avoir des choses pour lesquels oeuvrer. Au leader incombe toujours de trouver toutes les bonnes raisons pour ne plus avoir besoin de bonnes raison de faire tout ce que ceux qui le suivent ont envie de faire. Son influence est a ce prix. Il doit aussi savoir susciter l’envie incessante de faire de nouvelles choses, donc d’inventer de nouvelles choses a faire. En ce sens le leader doit s’efforcer d’ouvrir de nouveaux domaines de recherche. Par exemple, inventer chaque année de nouvelles couleurs pour voir le monde avec plus de nuances, et ainsi affiner les expériences. Les couleurs sont perçues, ou mieux perçues, parce qu’on peut les nommer. Il ne s’agit pas tant de faire surgir de nouvelles couleurs en soi, mais de trouver de nouveaux noms pour ce qui existait déjà sous nos yeux, sans que nous soyons toujours capable de le voir. Trouver un beau nom aux choses est aussi une façon de les embellir, sans même y toucher.
Le leader sait que rien n’est important ni n’a de valeur, mais il fait croire que si. Il sait que rien n’est important ni n’a de valeur sauf ce a quoi nous donnons de la valeur et de l’importance, et c’est a travers sa vision qu’il nous amène a donner de la valeur et de l’importance a toujours plus de choses, peut-etre au monde dans son ensemble… C’est par sa vision qu’il nous amène a créer toujours plus de richesses, même si ces richesse n’ont aucune valeur si ce n’est a travers son regard sur cette dite richesse. C’est la vision du leader qui valorise ce que nous faisons, sans quoi nous ne ferions rien car nous n’y verrions aucune importance ni aucun intérêt. La vision du leader nous promet la richesse, la vision du leader nous rend riche. Seul le leader ne peut jamais vraiment capter aucune valeur que ce soit : il sait qu’elle n’existe que dans le coeur de celles et ceux qui le croient.
La vie n’a aucun sens. Cette considération donnerait le vertige a n’importe quel individu « normal » ou « moyen », mais le leader n’a pas peur de se pencher au-dessus de ce vide existentiel. Sa vision ne donne pas automatiquement un sens a la vie. Le leader ne prétend pas pouvoir donner officiellement un sens a nos existences, non, la vie n’a pas de sens officiel précis. Mais c’est justement la liberté qu’offre la vision large du leader : puisqu’il n’y a pas de sens officiel, nous pouvons librement choisir parmi tous les sens déjà existants, ou en créer de nouveaux. Même au sein des religions établies depuis des millénaires : le leader religieux ultime n’étouffe pas les innombrables sectes qui ne manquent jamais de naitre. Les gourous ne sont pas des leaders. Les gourous n’inspirent pas la liberté comme le fait la vision du leader : les gourous ne sont qu’un epiphénomène de la liberté, elle-meme résultante d’un authentique leadership politique.
Au fond, le sens de la vie est surtout une histoire de gout. Selon vos gouts, vous pouvez explorer le sens qui vous plait, avant d’entamer ce grand voyage en direction des innombrables sens de vos existences. Le leader vous guide. Le leader vous couve. Vous ne pourrez jamais sortir de l’oeuf. L’oeuf, c’est l’autre nom de la Matrix. Le role essentiel du leader est de maintenir l’espoir au sein de l’oeuf, de stimuler la vie même si tout est déjà étouffé dans cet univers clos. Le leader doit faire vivre dans nos coeurs la croyance d’un infini, que l’infini soit dans ce monde ou au-dela.