L’argument d’autorité est un stratagème rhétorique très puissant qui consiste à se servir d’un ouvrage, d’un auteur, ou de toute autre référence culturelle ou scientifique pour appuyer son propos.
En mettant en avant une certaine culture, en donnant ainsi un aspect plus scientifique, plus académique ou universitaire à ce que l’on dit, il s’agit de montrer que l’on a correctement étudié le sujet – ou du moins en donner l’air… Il s’agit d’impressionner le public ou ses contradicteurs.
Schopenhauer en parle dans son ouvrage L’art d’avoir toujours raison (cf. stratagème n°30). Il observe que « quand deux individus se querellent, ce sont des personnalités faisant autorité qu’ils choisissent l’un et l’autre comme armes, et dont ils se servent pour se taper dessus. »
Par exemple : « Untel a dit que… ! », « Oui mais Machin avait écrit que… ! », etc.
Et c’est exactement ce que je fais moi-même en citant ici Schopenhauer ;-)
Il ne s’agit pas de se comporter soi-même de façon « autoritaire », mais de citer quelqu’un qui fait autorité en la matière, selon le sujet que l’on traite, et selon le degré de connaissance de notre interlocuteur ou de nos auditeurs.
L’autorité citée peut être un « grand » auteur, un « intellectuel », un savant… Les gens croient plus facilement une personnalité déjà réputée – et ce quel que soit le domaine dans lequel cette personnalité s’exprime, même si ça n’a rien à voir avec sa spécialité.
Par exemple, Einstein : parce qu’il est considéré comme un génie pour ses découvertes scientifiques, on lui accorde tout autant de crédit en matière d’idées politiques. Or, ses idées politiques ne sont rien d’autres que de simples opinions…
Bien sûr, les références que nous décidons d’utiliser doivent être reconnues comme telles par les personnes auxquelles on s’adresse. Lors d’un débat, l’idéal est donc de citer un auteur apprécié, ou du moins respectée par notre contradicteur : celui-ci aura d’autant plus de mal à le critiquer et, donc, à refuser l’idée que nous y associons.
D’où l’intérêt d’étudier avec autant d’intérêt les auteurs avec lesquels nous sommes d’accord que ceux avec lesquels nous sommes en désaccord.
Cela dit, Schopenhauer remarque que « ce sont les autorités auxquelles l’adversaire ne comprend pas un traître mot qui font généralement le plus d’effet »… Faire référence à des auteurs particulièrement techniques ou réputés comme tels est donc une bonne façon d’impressionner la plupart des gens (par exemple les philosophes allemands : Kant, Hegel, Heidegger…).
Il ajoute : « Les ignorants (sic) ont un respect particulier pour les figures de rhétorique grecques et latines. » Utilisez l’air de rien quelques termes et expressions en latin dans votre argumentation pour lui donner immédiatement un air plus sérieux.
Dans le même esprit, employer un jargon professionnel est souvent un bon moyen pour s’imposer dans un débat. Cela impressionne surtout les personnes peu cultivées. Personne n’y trouvera rien à redire (parce que personne n’y comprendra rien) et tout le monde vous écoutera comme « le » grand spécialiste (pensez au jargon du médecin, du juriste, de l’expert ceci ou cela..). Par ailleurs, plus vos propos sont obscurs et moins vous donnez de prises à l’adversaire pour vous attaquer (souvenez-vous : « soyez clair, et vous êtes perdu » !).
Une formule creuse comme : « La boite extérieure contient la boite intérieure, de même que la boite intérieure contient la boite extérieure » semble vouloir dire quelque chose de profond, et occupera un moment l’esprit de votre contradicteur qui cherchera comment réagir sans paraître idiot.
Les formules qui sonnent comme des dictons ont également un fort impact. Toute forme d’expression de sagesse populaire semble frappée au coin du bon sens, une sorte d’autorité qui vient de l’expérience du temps et de la tradition. Sarkozy était très fort à ce petit jeu là, pour édicter ses idées sous l’apparence d’adages populaires.
En résumé, voici comment se servir de l’argument d’autorité :
Utilisez des références. Quand vous devez défendre une idée, intégrez des citations dans vos exposés. Pour gagner en crédibilité, évoquez des livres, des études, des rapports… Mentionnez autant que possible le nom des auteurs.
Employez ci et là des termes techniques, philosophiques, scientifiques… Un bon rapport est de : 20% de mots techniques pour 80% de langage simple. Le but est de rester compréhensible et accessible au plus grand nombre, tout en laissant supposer un savoir bien plus vaste.
Soyez précis dans vos citations : connaissez au moins le nom de l’auteur, sa période, voire le titre de l’ouvrage duquel est extraite la citation. Mieux encore : connaître le numéro de la page en fonction de l’édition à partir de laquelle vous citez l’auteur en question ! Vous blufferez tout le monde.
Par bien des aspects, l’argument d’autorité consiste à étaler sa culture pour montrer aux autres qu’on en sait plus qu’eux, qu’ils n’ont rien à nous apprendre, que c’est à eux d’écouter…
En réalité l’argument d’autorité ne prouve rien, et l’on devrait pouvoir se passer de cette forme de pédanterie. Mais puisque la plupart des gens sont impressionnables, et que d’autres n’hésiteront donc pas à les impressionner, il faut soi-même pouvoir rivaliser.
Voici 3 astuces pour pallier quelques oublis ou lacunes en culture générale :
- Répertoriez et apprenez par coeur quelques citations, une poignée seulement, mais qui portent sur des thèmes suffisamment généraux afin de pouvoir les ressortir sur quasiment tous les sujets. Retenez à chaque fois le nom de l’auteur, si possible l’origine et le contexte de la citation (extraite de tel ou tel ouvrage, tirée de tel ou tel discours) ainsi que sa date.
Par exemple j’aime bien citer Gandhi, car on en a fait une figure très respectable difficile à critiquer, alors qu’il était capable de vous faire avaler des couleuvres :
– « C’est une erreur de croire nécessairement faux ce qu’on ne comprend pas » (à dire à quelqu’un qui refuse nos arguments en déclarant qu’ils sont tarabiscotés) ;
– « L’erreur ne devient pas vérité en se multipliant » (à dire à quelqu’un qui prétend se ranger du côté de la majorité) ;
– « Tout ce que tu feras sera dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses » (à dire à quelqu’un qui remet en cause l’utilité de certaines actions), etc.
- De même, retenez quelques locutions latines, plus ou moins connues, mais adaptables à tout type de contexte.
Par exemple, parmi mes préférées :
– Alea jacta est (« le sort en est jeté ») ;
– Amicus Plato, sed magis amica veritas (« J’aime Platon, mais j’aime mieux la vérité » : pour contrer un argument d’autorité justement !) ;
– Aquila non capit muscas (littéralement « l’aigle n’attrape pas les mouches », ce qui peut signifier : je n’ai pas à m’occuper de ce genre de détails) ;
– Si vis pacem, para bellum (« si tu veux la paix, prépare la guerre »), etc. Préférez ce genre de formules paradoxales, pour dire tout et son contraire.
- Enfin, préparez-vous constamment, renseignez-vous au préalable sur les sujets sur lesquels vous pouvez être amené à vous exprimer, dans tout type de situation. Faites des « fiches », comme les étudiants, et relisez-les régulièrement. Par exemple, juste avant une discussion, en fonction des sujets que vous aborderez probablement, consultez les fiches adéquates. Pour chaque idée ou argument, donnez 1 exemple, + 1 référence. Contentez-vous d’une locution latine par discussion.
Vous serez ainsi armé pour vous démarquer sur tous les sujets, dans tous les débats, en apparaissant comme quelqu’un de particulièrement cultivé.
En retour, ne soyez pas impressionné par les « petits professeurs », c’est-à-dire ces personnes qui s’expriment sans cesse à travers les idées des autres, untel à dit ceci, tel autre a dit cela, étalant leur culture autant que possible, noyant leurs interlocuteurs sous une avalanche de références, de citations, de noms d’auteurs et de titres d’ouvrages peu connus (qu’ils n’ont parfois eux-mêmes même pas lus !) :
La culture n’enseigne pas l’intelligence, encore moins la vérité… Être érudit est une chose, bien réfléchir en est une autre.