Analyse

10 procédés rhétoriques au service d’une idée politique

Dans l’émission Ce soir ou jamais (France 3) en date du 11 octobre 2011, l’ancien ministre de l’économie Alain Madelin déploie en à peine 2 minutes tout un arsenal rhétorique face à ses contradicteurs pour défendre la mondialisation libérale contre le protectionnisme national. Quoi qu’on pense lui, de son style ou de ses idées, les procédés qu’il utilise sont à retenir comme autant de commandements de tout bon débatteur politique. Vous pouvez retrouver l’émission sur youtube, le passage qui nous intéresse démarre à la 30e minute et plus exactement à 30’37 », voir ci-dessous :

Le passage est court, le débit de parole soutenu et les mouvements rapides : d’un revers de la main, à la manière d’un magicien, Madelin fait « apparaitre » un objet, le smartphone, qu’il utilise comme prétexte pour developper son argumentaire. « Utiliser un objet » n’est que l’une des 10 techniques qu’il mobilise. Détaillons ces différentes techniques, qui sont à retenir comme les 10 commandements rhétoriques de tout bon débatteur politique :

1 – Les opinions tu catégoriseras

Sa charge démarre par une catégorisation, c’est-à-dire par le fait de ranger ses contradicteurs dans une petite case si possible exécrable et affublée d’un « -isme » : ici, le « protectionnisme« . Alors même que certains pourraient s’en réclamer, tous cherchent ici à s’en défendre, telle Anne Hidalgo qui déclare (à 31’58 ») : « Je ne suis pas pour le protectionnisme » – et tente de lui substituer une autre formule : « Je suis pour le juste échange« …

Les catégories en “-isme” ont cet effet repoussoir et péjoratif bien expliqué par Schopenhauer (stratagème n°32 de L’art d’avoir toujours raison) : en casant ainsi les propos de son adversaire, on laisse entendre que nous sommes bien au fait de ses idées, que tout a été dit sur le sujet, que tous ses arguments ont été épuisés et qu’il n’y a rien à ajouter. La catégorisation est une sorte de réfutation en bloc du point de vue des auditeurs ou téléspectateurs.

Lorsque que vous voulez détruire, du moins rendre douteuse une affirmation de votre adversaire, rangez-là dans une catégorie, quelque qu’elle soit, pour peu qu’elle s’y rattache par similitude ou même très vaguement. Trouvez-lui un nom en « -isme », piochez pourquoi pas au hasard parmi les exemples fournis par Schopenhauer : « C’est du manichéisme ; c’est du pélagianisme ; c’est de l’idéalisme ; c’est du spinozisme ; c’est du panthèisme ; c’est du naturalisme ; c’est du rationalisme ; c’est du spiritualisme ; c’est du mysticisme… »

Les grands classiques, à clamer de façon particulièrement outrée : « C’est du fascisme ! C’est du racisme ! C’est du nazisme ! » A n’utiliser cependant qu’en extreme recours, quand on se sait soi-même acculé, car le débat atteint alors son point Godwin, ce qui en marque aussi la fin – ou le début d’une escalade dans la violence et la bêtise…

2 – Par le concret tu capteras

C’est un principe de base du storytelling : pour captiver son auditoire, il faut lui donner des exemples concrets qu’il puisse facilement visualiser.
D’une façon générale, évitez de chercher des idées trop complexes, ou de les exprimer de façon trop abstraite. Parlez de choses physiques, palpables, insistez sur les couleurs, les formes, les volumes et les longueurs. Pour trouver les bons exemples, vous pouvez notamment utiliser la technique de la photo mentale.

Ici, Madelin fait plus fort encore. Il ne se contente pas d’exemples à l’oral mais introduit un objet, sur lequel se dirigent aussitôt tous les regards. L’objet n’a rien d’exceptionnel en soi et c’est là toute sa force : quasiment tout le monde a un portable et l’utilise au quotidien, et peut aussitôt attraper le sien comme preuve matérielle des idées avancées. La relation de proximité qui nait ainsi avec les spectateurs ou téléspectateurs se base autant sur du visuel que de l’usuel. Utiliser un objet est une technique très puissante. Une alternative peut être de faire un dessin, ce qui confère un caractère dynamique à l’élément visuel. Selon la configuration d’une intervention, pensez-y !

Regardez bien la gestuelle de Madelin : il n’a pas fini sa phrase d’introduction qu’il porte déjà la main à sa poche (30’34 »), tel un magicien qui détourne l’attention de son public par ses paroles pour imposer la stupéfaction par une quelconque apparition. Il sèche aussitôt son contradicteur qui l’accuse de vivre « dans un monde complètement irréel » (30:38) : en saisissant cette preuve matérielle, difficile de nier sa connexion au réel… Tout le monde se tait, stupéfait, et attend docilement le prochain coup de théâtre.

3 – Sans fin tu énumèreras

L’énumération est un procédé puissant qui produit un effet de foisonnement, comme tout autant de preuves et d’exemples se succédant à l’infini, donnant ainsi une force quantitative à l’argumentation. Son portable en main, Madelin énumère tous ses composants, jusqu’au plus petit : GPS, Bluetooth, écran, mémoire, processeur… Ce qui le retient d’aller plus loin, c’est simplement la limitation du temps à l’antenne – du moins c’est l’impression qu’il donne aux spectateurs. Et pendant tout ce temps, ses contradicteurs se taisent, attendant de voir où il veut en venir… Redoutable.

4 – La main tu garderas

Parler à moitié, c’est comme ne rien dire. En politique comme dans d’autres domaines, il faut suffisamment développer ses idées pour espérer que celles-ci soient comprises et entendues. D’où la difficulté d’intervenir à la télé, qui ne donne que rarement aux invités le temps d’aller jusqu’au bout de leurs raisonnements. Comment Madelin réussit-il donc à garder la main pendant plus de deux minutes, ce qui peut sembler un record dans sa situation face à tant de contradicteurs ? Son secret tient dans le rythme de son intervention.

Pour ne pas perdre votre interlocuteur, fournissez-lui des repères suffisants et clairs pour qu’il comprenne (ou suppose) où vous en êtes dans votre démonstration. Madelin marque très clairement les différentes séquences de son intervention. La “preuve matérielle” (30’38 ») est introduite par “Regardez ce téléphone“, ce qui donne un temps de latence, et coupe net un autre invité qui voulait réagir. A la deuxième tentative de réaction (de la part d’Anne Hidalgo, 31’09 »), Madelin annonce une double conclusion

Quand un interlocuteur est trop long dans ses développements, il est normal de le couper. Cependant, quand celui-ci annonce qu’il va conclure, difficile de l’arrêter à ce moment clef ! La force de Madelin est d’annoncer ici une conclusion en deux temps, ce qui revient en réalité à s’accorder deux nouveaux développements, chacun ouvrant une nouvelle parenthèse. Sur la durée totale de l’extrait, vous observez d’ailleurs que la conclusion… dure 2 fois plus de temps que la première partie ! Mais l’annonce de la fin de son intervention oblige ses contradicteurs à attendre, une fois de plus, leur tour de parole, supposé imminent.

5 – Te faire couper tu éviteras

Le débat est un combat. Lors d’une joute oratoire entre opposants politiques, tous les coups sont permis. Toucher et parer, voilà ce qui importe, et quand on sent que l’on va perdre, il nous faut encore empêcher l’adversaire de gagner. Pour cela : le couper, le déstabiliser, l’empêcher de mener son argumentation à terme, de développer convenablement sa thèse.

Par le rythme de son intervention, Madelin garde la main. Encore faut-il avoir suffisamment de cran pour ne pas se laisser déstabiliser. Ses contradicteurs tentent à plusieurs reprises de le couper, mais il continue de parler sans se soucier de leurs réactions, ne se laisse pas surprendre et ne marque aucun temps d’arrêt. Il reste focalisé sur ses idées. Le secret ? Être convaincu de son bon droit, être suffisamment sûr de soi, être totalement imprégné du message que l’on veut faire passer, avoir un minimum préparé et répété les passages les plus importants.

Une séquence comme celle-ci ne s’improvise pas. Elle suppose d’avoir mûrement réfléchi au sujet, d’en manipuler régulièrement les concepts, et de cultiver tant son esprit critique qu’un certain sens pratique. C’est parce que les idées sont maîtrisées que le discours est fluide et la répartie spontanée. Et pour cela, il faut s’entraîner. Rappelez-vous : improviser ne signifie pas ne pas se préparer, mais au contraire se préparer à toutes les éventualités, pour réagir facilement sur n’importe quel sujet ou aspect du sujet.

6 – Le regard tu maintiendras

Fondamental dans toute prise de parole : le regard. C’est par lui que s’établit vraiment le contact entre un orateur et ses interlocuteurs.
Un contact visuel franc et direct permet autant d’établir une relation cordiale, que de tenir l’autre en respect. Il faut regarder pour capter, il faut regarder pour s’imposer. Lors d’une joute verbale, gardez toujours un œil sur votre ennemi ! Mais tachez aussi de montrer aux auditeurs ou spectateurs que vous ne les oubliez pas, en vous tournant régulièrement vers eux. Voyez comme Madelin garde Anne Hidalgo en ligne de mire. Voyez aussi comme il va chercher le public en allant presque jusqu’à se retourner (31’39 »), son léger demi-tour accompagnant sa gestuelle lorsqu’il énumère plusieurs pays.

Son regard est stable, à hauteur de celui des autres invités. Il ne baisse jamais le regard, si ce n’est par quelques coups d’œil furtifs pour pointer son portable, qu’il utilise pour sa démonstration. Cette attitude lui confère une autorité et un charisme indéniables.

A l’inverse, voyez comme Anne Hidalgo peine à affirmer sa position, lorsqu’elle déclare “Je suis pour le juste échange” (formule répétée trois fois avec insistance, comme si elle devait elle-même s’en convaincre ou ne savait quoi dire de plus, à partir de 32’00 ») : plutôt que de faire face à Madelin, elle se tourne vers le journaliste comme pour avoir son soutien, de la même façon qu’une docile petite écolière chercherait l’approbation de son maître d’école. Par-delà le contenu même du message, le regard est la clef de toute intervention réussie.

7 – Le débat tu ouvriras

Arrivant à la fin de son intervention, Madelin conclut son propos mais ne le clôture pas. Au contraire : il ouvre le débat : « Les immigrés dehors je suis contre, je trouve que c’est complètement absurde » (32:12). Une formule que peu sur ce plateau pourront désapprouver, et surtout qui déplace le problème : on passe indirectement du problème de la mondialisation, des délocalisations et de la menace de la Chine à un problème de politique intérieure, l’immigration, sujet glissant s’il en est. Le protectionnisme pose bien la question de la fermeture des frontières, mais pas exactement sur ce plan là ! La formule de Madelin est suffisamment ambiguë pour projeter tous ses interlocuteurs sur une pente glissante et leur faire risquer un dérapage incontrôlé…

Souvent utilisée pour esquiver, la technique de l’ouverture correspond en partie au stratagème n°19 (de L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer). Plus vous limitez votre propos, plus vous êtes vulnérable, car vos contradicteurs pourront d’autant mieux cibler leurs attaques. Plus vous ouvrez de pistes et plus vous donnez à vos adversaires des occasions de s’y perdre !

8 – Ton adversaire tu attaqueras

L’attaque ad hominem consiste à mettre en lumière l’incohérence des propos de ses contradicteurs. Associée à l’argument ex concessis, ils constituent le stratagème n°16 de L’art d’avoir toujours raison. Schopenhauer précise : « Quand l’adversaire fait une affirmation, nous devons chercher à savoir si elle n’est pas d’une certaine façon, et ne serait-ce qu’en apparence, en contradiction avec quelque chose qu’il a dit ou admis auparavant, ou avec les principes d’une école ou d’une secte dont il a fait l’éloge, ou avec les actes des adeptes de cette secte, qu’ils soient sincères ou non, ou avec ses propres faits et gestes. » En gros, faire dire à son adversaire cette formule bien connue : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! »

Attention à ne pas confondre l’attaque ad hominem avec l’attaque ad personamla première étant généralement prise pour la seconde ! A la différence de l’ad hominem (qui ne vise pas la personne de l’adversaire mais la cohérence de ses propos), l’attaque ad personam s’apparente aux injures, insultes, ou tout autre propos désobligeant, blessant et grossier…
Madelin projette une attaque ad hominem bien sentie quand il rappelle à Hidalgo : « … c’est la TVA sociale qu’avait introduit l’un de vos candidats… » (32’42 »). Ce n’est pas tant le propos d’Hidalgo qui est ainsi visé, mais son incapacité à défendre une ligne claire en accord avec d’autres représentants du PS. En tant que porte-parole de ce parti, son message apparaît dès lors comme embrouillé, jetant le discrédit sur ses idées.

9 – Les figures de style tu utiliseras

Lorsque Madelin, à la toute fin de l’extrait, regrette qu’il y ait « trop de Montebourg et pas assez de Steve Jobs« , il utilise ce qu’on appelle une antonomase. Ce terme barbare désigne en rhétorique classique la simple substitution à un nom commun d’un nom propre ou d’une périphrase qui énoncent sa qualité essentielle, ou réciproquement. Exemples : Harpagon pour avare ; Tartuffe pour hypocrite ; Hercule pour extraordinaire…

Comme l’explique Cicéron, les figures de mots et de pensée sont en quelques sortes les « outils de l’éloquence » (Cicéron, L’orateur idéal, p.51). Il faut user de ces « ornementations verbales » avec parcimonie et discrétion.

10 – T’entraîner tu continueras

Ce dixième « commandement » ne fait pas directement référence à un passage de l’extrait. Il s’agit plutôt d’une invitation à toujours prendre du recul par rapport à ce qui est dit et ce qui est fait, et chercher ce qui pourrait ou aurait pu être dit et fait. C’est en réfléchissant à toutes les réponses possibles que l’on prépare d’autant mieux ses prochaines attaques et défenses, d’un bord comme de l’autre. On peut être favorable aux idées de Madelin ou totalement contre, cela n’empêche pas de reconnaître dans cet extrait un grand moment d’art oratoire, une parfaite maîtrise du débat, et l’habile mobilisation de procédés rhétoriques adaptés à la défense d’une idée politique.

Prenez donc le temps de vous mettre en situation, tantôt à la place de la porte parole PS (Anne Hidalgo), tantôt à la place de l’ancien ministre de l’économie (Alain Madelin) et réfléchissez à tout ce que vous auriez pu dire ou répondre. Par exemple : malgré quelques difficultés et plusieurs tentatives loupées, Anne Hidalgo réussit tout de même à caler sa petite formule : « Je suis pour l’échange juste » – en l’opposant implicitement à « l’échange libre » de Madelin. Ce dernier ne relève pas, et pourtant… Il manque peut-être là une occasion de marquer les esprits des téléspectateurs. Ceux-ci se diront, après l’avoir écouté, qu’il « a peut-être raison », mais que cette raison est finalement l’antithèse de la compassion. A quoi bon la liberté si celle-ci ne profite qu’au « renard libre dans le poulailler libre » ? Selon vous, qu’aurait pu répondre Madelin pour définitivement lui clouer le bec ?

En rhétorique, on parle de prolepses : aller au-delà des objections que l’on pourrait nous adresser. Ces objections et critiques arrivent généralement après nos interventions, dans la phase consacrée de « questions/réponses ». De même, dans un débat, on imagine toujours avoir le temps de developper ses arguments, alors que c’est en réalité rarement le cas, et il faut parer aux objections des les premiers mots prononces ! Quoi qu’il en soit, on s’attache toujours davantage aux idées et formules que l’on souhaite exprimer, plutôt qu’aux ripostes, car on sous-estime quasiment toujours la violence des réactions et de la repartie de nos contradicteurs… Pourtant, penser aux prolepses devrait être la première chose et la plus urgente dans toute préparation !

Pour aller plus loin, voici deux articles à (re)lire : Les 5 étapes fondamentales par lesquelles doit passer tout bon orateur selon Cicéron et Savez-vous vraiment ce qu’il y a de plus important dans un discours ?

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De l’usage du balai en politique

Arnold Schwarzenneger lors de sa campagne en 2003

Lors d’un discours ou d’une conférence, l’utilisation d’un objet est une excellente technique pour capter l’attention du public.

Attention toutefois aux objets que l’on veut utiliser, aux symboles qu’ils peuvent véhiculer. Dans les discours politiques, le fait d’utiliser un objet oscille toujours entre symbole et preuve matérielle.

Par exemple, lors des meetings pendant sa campagne électorale de 2003, Schwarzenneger brandissait un balai en clamant qu’il voulait « nettoyer » la politique en Californie : il passait alors pour l’homme fort de la situation, prêt à retrousser ses manches et à « mettre les mains dans le cambouis ».

Par contre, lorsque Ségolène Royal déclarait, en vue des primaires socialistes en 2011 : « Il y aura du ménage à faire. Et ce n’est pas plus mal que ce soit une femme qui soit élue pour faire le ménage. Un bon coup de balai, et hop ! », il aurait été malvenu qu’elle s’empare à son tour réellement d’un balai : l’image l’aurait faite passer pour une femme docile et soumise, assignée aux tâches ménagères, tout le contraire de ce que les électeurs attendent d’un(e) leader en politique. La formule même fut jugée sexiste par nombre de commentateurs…

L’objet que l’on choisit a toujours une dimension symbolique, ou renvoie toujours à un certain imaginaire. Un même objet peut avoir un sens très différent selon qui s’en sert.

La grande force de l’objet est cependant de nous rattacher directement au réel. Il peut même avoir valeur de « preuve matérielle » par rapport aux idées que l’on défend (voir par exemple Alain Madelin dans l’émission Ce soir ou jamais du 11 octobre 2011).

A ce titre, il faut donc distinguer l’objet utilisé comme preuve, exemple ou illustration, de l’objet utilisé uniquement comme symbole ou signe distinctif pour fédérer les militants de tel parti politique ou tel mouvement social à travers une identité visuelle forte.

Cela dit cette technique de l’objet est finalement assez peu utilisée en communication politique, en tout cas dans notre pays. L’essentiel du travail de nos spin doctors et autre communicants institutionnels porte le plus souvent sur les argumentaires, les éléments de langage, les formules et « petites phrases », c’est-à-dire sur l’impact verbal de la communication.

Le travail sur l’impact visuel, par le media training notamment, se limite généralement à corriger certains défauts, gestes parasites ou mouvements gênants. La plupart des hommes et des femmes politiques cherchent d’abord à se mettre en scène eux-mêmes, à mettre en scène leur corps. Ils se concentrent davantage sur une posture, une gestuelle qui leur serait propre, leur permettant d’affirmer un « style », une personnalité.

Par ailleurs leurs slogans et leurs « petites phrases » sont plus facilement répétés telles quelles, tandis que les images sont davantage sujettes au détournement (montages photoshop etc). C’est pourquoi l’utilisation d’objets ou même d’accessoires reste secondaire, considérée avant tout comme une gêne ou un risque dans leur communication.

Enfin, miser sur le visuel et le côté spectacle est un mode de communication très « à l’américaine », dénigré dans la conception politique française. C’est sans surprise de voir que la technique est le mieux maîtrisée outre-Atlantique.

Al Gore utilise à perfection ces techniques visuelles : objets, photos, dessins, films d’animation, jusqu’à l’utilisation d’un élévateur pour suivre la courbe d’un schéma… Sans cela, faire un film de sa conférence sur le changement climatique aurait été difficilement envisageable.

En France, le discours est encore trop souvent envisagé comme un exercice essentiellement « littéraire » : on se concentre sur la rédaction d’un texte avant de penser à sa mise en scène, au jeu de l’orateur qui devra prononcer ce discours. Certes, il ne faut pas sacrifier le fond à la forme : la parole doit demeurer au service d’une idée. Mais une approche plus « théâtrale » est souhaitable. C’est tout l’enjeu de l’art oratoire.

Toutefois, à l’ère de youtube et du tout vidéo, cette technique devrait davantage se développer, au risque des détournements que cela pourra susciter (comme dans le cas de Nétanyahou) – ou précisément pour provoquer ces détournements et faire le buzz sur internet…

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8 règles fondamentales pour toute campagne électorale

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A l’occasion d’un conférence dans le Midwest en mars 1959, Ted SORENSEN, conseiller de J.F. KENNEDY, mettait en relief les ressorts de la campagne qu’il leur fallait conduire :

1. Une volonté dévouée comme Paul REVERE vaut dix mercenaires.

2. Les lettres personnelles comptent plus que les entêtes prestigieuses.

3. Cinquante personnes donnant chacune un dollar valent plus qu’une seule qui en donne cent.

4. Une conversation politique avec quelqu’un qui n’est pas convaincu vaut mieux qu’une conversation politique avec quelqu’un qui est déjà convaincu.

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5. Une réunion dans une salle publique pleine d’électeurs vaut deux réunions dans une chambre d’hôtel pleine de fumée.

6. Mieux vaut secouer le bateau que naviguer sous de fausses couleurs.

(En ce qui concerne les points litigieux).

7. Aucune voix n’est acquise, à l’exception peut-être de celle de votre mère ; et encore, assurez-vous qu’elle est inscrite sur les listes électorales.

8. Une heure de travail en 1957 vaut deux heures de travail en 1958.

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Le premier débat présidentiel des élections US 2012 : Romney en attaque, Obama en défense

Mercredi 3 octobre 2012 avait lieu à Denver (dans le Colorado) le premier débat entre les candidats à l’élection présidentielle américaine, opposant Barack Obama (démocrate) et Mitt Romney (républicain) :

Obama, président sortant, a pour lui la popularité, mais doit défendre son bilan. Romney, moins connu, profite à l’inverse d’une position lui permettant d’attaquer plus directement son rival.

Et ces deux positions d’attaque et de défense se sont clairement ressenties dans l’attitude générale des candidats : Romney était particulièrement combatif et incisif, prêt à « rentrer dedans », tandis qu’Obama semblait plus froid, plus distant, comme « en recul »…

Le Président se devait d’être technique dans ses propos, pour expliquer et justifier ce qui avait été fait pendant son mandat, alors que son opposant républicain, au risque d’être parfois approximatif, pouvait être plus virulent pour critiquer, ou plus ardent pour évoquer ses projets.

Regardez comme les réponses d’Obama semblent longues, notamment dans la deuxième partie du débat ! Au contraire, Romney joue la carte des petites phrases.

Ses approximations sont par ailleurs compensées par une présentation très claire de ses idées : il les présente en effet sous forme de listes de points, procédé rhétorique proche de l’énumération qui confère ici une certaine rigueur à ses propos. Voir par exemple, dès sa première prise de parole, vers 05’55 : « My plan has five basic parts. One… Number two… Number three… Number four… Number five… »

Puis, deuxième intervention, de 09’37 à 12’40, qu’il découpe ainsi : « First of all… The second area… The third area… »

Troisième intervention, de 15’06 à 16’47 : « That’s part one… Number two… Number three… » ; et ainsi de suite…

Quasiment toutes ses interventions se divisent en 3 points clairement établis !

En donnant de tels repères dans ses interventions, il donne aussi l’impression que son mode de pensée est particulièrement rigoureux, que ses idées sont très structurées et ordonnées. Et permet au public de le suivre plus facilement.

Cela dit, cette apparence de rigueur ne se fait pas au détriment de l’expression d’une certaine chaleur du personnage. Romney-le-mormon, habituellement dépeint dans les medias français comme un individu sec et austère, réussit plusieurs fois à dérider l’assemblée.

Dès son introduction, il ironise : « And congratulations to you, Mr. President, on your anniversary. I’m sure this was the most romantic place you could imagine here… here with me… » Ce qui amuse tout le monde – une bonne façon de se mettre les rieurs dans la poche !

Déclarant qu’il arrêterait de financer PBS, réseau de télévision public, il ajoute qu’il aime pourtant bien « Big Bird » (l’oiseau géant du programme pour enfants diffusé sur l’une des chaînes de ce réseau). « And I like you too », lance-t-il directement au présentateur, qu’il appelle par son prénom, Jim.

Tout autant de petites formules surprenantes qui ont marqué, et qui font parler.

Big Bird Mitt Romney
Big Bird, la marionnette de l’émission « Sésame Street » – Un exemple parmi les nombreux détournements qui ont immédiatement circulé sur la toile après la déclaration de Mitt Romney.

Il verse également dans le registre émotionnel. Encore dans son introduction, il raconte qu’il était à Dayton, dans l’Ohio, « and a woman grabbed my arm, and she said, I’ve been out of work since May. Can you help me? » (05’20).

Il poursuit : « a woman came up to [Ann – sa femme] with a baby in her arms and said, Ann, my husband has had four jobs in three years, part-time jobs. He’s lost his most recent job, and we’ve now just lost our home. Can you help us? »

Dans le premier exemple, une femme attrape son bras : on imagine toute la détresse de cette pauvre dame qui s’agrippe comme elle peut à quelqu’un qui l’écoute… Dans le second exemple, il joue sur les valeurs familiales en impliquant son épouse, Ann, vers qui accourt une autre femme, un bébé dans les bras. A chaque fois, la même question désespérée : « Pouvez-vous nous aider ? » Et lui, Romney, apparaissant alors en sauveur, en héros, répond : « Oui… »

Ces sont des exemples très imagés, très visuels, et qui se veulent extrêmement poignants. Tous les éléments dramatiques sont réunis, son storytelling est parfaitement rôdé.

* * *Le débat est un combat. Et, de fait, celui qui attaque est généralement favorisé par rapport à celui qui doit se défendre. Mais d’un côté comme de l’autre, c’est aussi celui qui s’est le mieux préparé qui a le plus de chance de l’emporter.

Il en ressort un Romney jugé grand vainqueur du débat, face à un Obama affaibli, bien moins « dans le coup » que d’habitude…

* * *Deux autres débats auront lieu avant le jour de l’élection le 6 novembre 2012.

La suite le 16 octobre prochain !

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La « bombe » du Premier ministre israélien, ou l’art de parler aux yeux avec un simple dessin

Jeudi 27 septembre 2012 le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahouprononçait un discours à l’ONU, appelant à stopper le programme nucléaire iranien :

Plus exactement, il demandait qu’une « ligne rouge » soit fixée, afin d’em- pêcher l’Iran de la dépasser.

Selon Netanyahou, « L’Iran est actuellement à 70% de son programme, la première phase est terminée et la seconde est déjà entamée. Au rythme actuel, l’Iran entrera à l’été prochain dans la phase finale ». Et si le programme nucléaire iranien dépasse les 90% de son achèvement, toujours selon Netanyahou, il ne sera plus possible d’y mettre un terme : « La question n’est pas de savoir quand l’Iran sera capable de construire une bombe, mais quand nous ne serons plus capables de l’arrêter. »

Il répète à plusieurs reprises l’expression « ligne rouge, claire » : « Il n’y a qu’une seule manière d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique, et c’est en fixant une ligne rouge, claire… Face à une ligne rouge claire, l’Iran cédera… Les lignes rouges ne conduisent pas à la guerre, les lignes rouges empêchent les guerres… Des lignes rouges auraient pu empêcher la première guerre du Golfe. Des lignes rouges auraient pu empêcher la Seconde Guerre mondiale… »

Mais il ne se contente pas de marteler ces mots. Pour se faire véritablement entendre et attirer tous les regards, il va « parler aux yeux »…

Parler aux yeux, cela consiste à quitter le registre purement verbal du discours, et introduire une véritable image, un schéma, un dessin, ou tout autre élément visuel permettant d’illustrer son propos.

Lors d’une prise de parole en public, un schéma permet de rendre visible et donc concret quelque chose d’abstrait. En cela, il rend le propos du discours plus facile à mémoriser : on retient plus facilement les images, que les mots qui y sont associés.

Ainsi, en sortant un large panneau sur lequel était dessinée une bombe avec une mèche allumée, Netanyahou était sûr de créer l’évènement et de faire parler.

La bombe est sur le point d’exploser, ce qui vise à alerter, à symboliser un danger imminent, à montrer l’urgence. La bombe représente également les différentes étapes de progression du programme nucléaire iranien, la première à 70%, la seconde à 90%. Quant à la ligne rouge, c’est le Premier ministre d’Israël lui-même qui la trace, dégainant un gros feutre et insistant sur cette limite fatidique avant le stade final, irréversible, appuyant le trait et repassant dessus plusieurs fois.

En dessinant la « ligne rouge », il la rend ainsi lui-même visible et claire, claire car visible. Il rend concrètes sa volonté et la possibilité d’agir.

L’effet de sa prestation tient donc a un impact visuel extrêmement fort.

Un dessin vaut mieux qu’un long discours. Son dessin, très simple, et même simpliste pour ne pas dire ridicule, se substitue aux habituels discours complexes et techniques sur le nucléaire. Et tandis que, selon l’adage, certaines paroles « s’envolent », son image au gros marqueur, elle, demeure indélébile

Certes, c’est moins le contenu du schéma que la représentation même de la bombe qui a vraiment fait parler pour l’instant. Son côté « cartoon » a eu deux effets : c’était pour Netanyahou le risque d’être décrédibilisé, par les détour- nements* dont il a alors fait l’objet (des montages photos le montre en personnages de BD ou de dessins animés, en mario bros, etc.), mais c’est aussi ce qui, du coup, a créé un véritable buzz sur internet, lui offrant une large publicité.

L’image de Netanyahou a fait le tour de la planète, et donc, en même temps, son message. Au final, sa stratégie s’avère payante.

* Exemples de détournements qui ont circulé sur le web (cliquez pour agrandir) :

Netanyahou bombe cartoon

Netanyahou bombe cartoon

Netanyahou bombe cartoon

Netanyahou bombe cartoon

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Hervé Morin est-il un yaourt ?

Les petits noms des politiques – dont les affublent autant leurs pires ennemis que leurs si loyaux « amis » – sont souvent cruels et moqueurs. Et la métaphore alimentaire (plus particulièrement les produits laitiers) demeure un registre privilégié pour y puiser moult sobriquets.

On se souvient par exemple que nombre de militants de gauche avaient eux-mêmes surnommé François Hollande « Flamby » : substance gélatineuse qui s’étale quand on la démoule, qui tremble quand on la secoue… Par ce surnom, synonyme de « gauche molle », la radicalité comme la témérité de l’ancien Premier secrétaire du PS étaient clairement mises en cause, sa posture de chef des socialistes plus ou moins contestée.

Hollande n’est pas le seul a avoir recu ce genre de sobriquet, et le rayon frais est toujours en service pour tous les bords et partis. Hervé Morin qui s’y était lui aussi vu ranger lors de sa campagne en vue des élections présidentielles de 2012. Ses opposants eurent en effet l’idée de le surnommer « le yaourt »… parce qu’il était comme lui à 0% ! (d’intentions de vote dans les sondages)

Le yaourt n’est pas seulement un produit allégé, c’est surtout une pâte molle et blanche, sans couleur, sans saveur, inconsistante. C’est donc moins la position d’Hervé Morin dans les sondages qui est ici réellement visée, que son charisme et sa prestance. Alors, faisant fi des intentions de vote, reposons la question : Hervé Morin a-t-il la carrure d’un présidentiable, ou est-il un yaourt ?

Pour y répondre, revenons là où tout a commencé : sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle lors d’une conférence de presse le dimanche 27 novembre 2011 à Berville-sur-Mer dans l’Eure (voir la vidéo ci-dessous). Pas besoin de visionner le discours en entier, la 1ere minute suffira. Dans tout discours, les premières minutes sont fondamentales pour prendre en main le public. Si vous ratez votre entrée, il vous sera très difficile de revenir sur cette première mauvaise impression.

Hélas pour lui, dans l’extrait vidéo ci-dessus, Morin accumule dès le début plusieurs erreurs typiques d’un orateur débutant. Voici les 3 erreurs principales pourtant faciles à éviter :

– Hervé Morin s’agrippe à son pupitre comme un capitaine à sa roue de gouvernail. Seulement, ce n’est pas le navire qui tangue mais le capitaine lui-même, balançant son corps de droite à gauche. Il change sans cesse de jambe d’appui, il semble instable. A cela s’ajoute le fait que tenir ainsi son support le conduit à se voûter, à arrondir son dos, et à perdre en « verticalité », donc en impact. Cette erreur de posture est fréquente chez tous les orateurs ou conférenciers se servant d’un pupitre : c’est pourquoi il faut apprendre à se détacher de celui-ci, autant physiquement que symboliquement, afin de déployer tout son corps et imposer sa stature.

– Ses mains relâchent tout de même le pupitre de temps à autres, mais pour se perdre dans une gestuelle évanescente. L’ouverture des bras est un geste classique, qui exprime à la fois l’accueil et la prise en compte de tout l’auditoire – mais ici Morin est bien trop fugace, et contrecarre quasiment à chaque fois cet élan du haut du corps avec un mouvement de la tête vers le bas (voir par exemple à la 40e seconde)…

– Morin penche en effet fréquemment sa tête, car sa plus grosse erreur demeure son incapacité à se passer de ses notes ! Il les cherche constamment du regard, dès le début, alors que ses bons mots sur sa « Normandie natale » devraient lui venir naturellement – au moins pour sembler sincères… Moins suivre ses notes lui aurait conféré plus de spontanéité. Le comble est atteint lorsqu’il formule enfin sa déclaration officielle de candidature (les secondes autour de la 1ere minute) : il baisse les yeux au moment même où il prononce les mots « présidence de la république », et brise alors le contact visuel qu’il aurait absolument du maintenir avec son auditoire à ce moment crucial !

On peut encore rajouter de nombreux petits défauts et défaillances – tels sa langue qui fourche dès ses premiers mots (« mes sers_jamis » pour « mes chers amis », à la 8e seconde)…

Ce qui est sûr, c’est que Morin n’apparaît pas sous son meilleur jour, peu stable et peu éloquent, alors que cette conférence de déclaration de candidature, peut-être l’un des moments les plus importants dans un parcours politique, aurait du être la mise en scène de toute sa vigueur, de tout son courage et toute sa détermination.

Peu assuré au départ même de la course, il ne pouvait que difficilement se redresser par la suite et rattraper son retard. Normal qu’il soit à la traîne dans les sondages.

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