Hier soir sur France 2 (jeudi 12 avril 2012), Jean-Luc Mélenchon répondait aux questions de plusieurs journalistes et chroniqueurs dans le cadre de l’émission Des Paroles et des Actes (DPDA).
Mélenchon est considéré par nombre d’analystes politiques comme le meilleur orateur de la campagne présidentielle. Il révèle ici une grande maîtrise tactique du débat, notamment en ce qui concerne sa gestion du temps :
En période électorale, le temps de parole de chaque candidat est limité et strictement contrôlé par le CSA. Mais si cela veut donc dire qu’un candidat ne peut s’exprimer à la télé aussi longtemps qu’il le voudrait, cela implique aussi, à l’inverse, que le journaliste ne peut lui non plus questionner le candidat comme il le voudrait, n’ayant le temps d’approfondir tel ou tel sujet lors d’une interview.
Ce double effet de la règle du temps de parole permet ainsi aux candidats les plus rusés de l’utiliser à leur avantage – en repoussant par exemple certaines questions !
Lors de leur passage dans l’émission DPDA, les candidats ont en effet sous les yeux un chronomètre qui décompte à la seconde près leur temps de parole (16mn 34s !). Pour la plupart, c’est une véritable course contre la montre qui s’engage afin de dire le plus de choses possible avant la fin du compte à rebours. Pour Mélenchon, c’est l’art de jouer avec les limites lorsqu’il pressant une question embarrassante…
Allez directement à la fin de la vidéo, c’est là que tout se joue. Alors que Pujadas rappelle qu’il reste seulement « 1 minute 45 » (vers la vingt-deuxième minute de la vidéo, 22:19), il annonce en suivant une, puis trois nouvelles questions. Oui, il invite Mélenchon à répondre à 3 questions en moins de 2 minutes ! Autant dire mission impossible quand on voit la tendance des hommes politiques à palabrer.
S’ensuit un échange plus ou moins intéressant sur la notion de richesse. Mélenchon est très à l’aise. Il prend même à parti Pujadas en l’interrogeant sur son salaire. Celui-ci, manifestement troublé – et peut-être un peu géné -, tente de faire diversion et de passer au sujet suivant en agitant subitement son épée de Damoclès temporelle : « 30 secondes ! » (24:30). Mélenchon réagit aussitôt par une nouvelle apostrophe : « Vous ne trouvez pas que c’est déjà beaucoup, 30 000 euros par mois ?! » Pujadas rappelle alors que « d’ordinaire, c’est [lui] qui pose les questions ». Sans effet. Peu importe que le chrono ne cesse de tourner, Mélenchon continue sur sa lancée ! Tant et si bien que lorsque Fabien Namias intervient, il ne reste que… 10 secondes.
Situation face à laquelle Mélenchon déclare, avant même que la question ne soit posée : « Je refuse de répondre en 10 secondes ». Il a toutefois pu entendre qu’il s’agissait d’une question de géopolitique portant sur Cuba, sujet sensible s’il en est…
Mélenchon a donc très bien utilisé son temps de parole en étirant autant que possible l’un des derniers sujets sur lequel il était interrogé, et sur lequel il était très à l’aise, tout en repoussant par là même d’éventuelles questions supplémentaires sur des sujets peut-être plus délicats. Autant rester accroché à ce que l’on connaît, plutôt que risquer de tomber sur ce que l’on ne connaît pas. En sport, cette tactique a un nom : anti-jeu. On parle d’anti-jeu lorsqu’une équipe, menant au score, ou un joueur tente de gagner du temps en ralentissant le jeu ou en faisant durer au maximum les séquences d’arrêt de jeu (voir la définition dans ce lexique du football).
Si Mélenchon avait pu prolonger son petit jeu avec Pujadas, cela lui aurait évité d’avoir à déclarer (même à juste titre) qu’il ne peut répondre à cette deuxième et dernière question, donnant alors l’impression qu’il est en train de se défiler… Toutefois, la troisième question que Pujadas avait annoncée, elle, est complètement zappée (et en même temps les difficultés qu’elle aurait pu présenter, on ne saura jamais).
…Mais, tour de force ultime de ce rhéteur de talent : il utilise tout de même ses 7 dernières secondes au chrono et conclut en menaçant les Etats-Unis d’Amérique, se plaçant ainsi face à plus puissant que lui dans une posture de défi héroïque !
Jean-Luc, chapeau bas.