« Le rôle de l’enfant, c’est de vivre sa propre vie – et non celle qu’envisagent ses parents anxieux, ni celle que proposent les éducateurs comme la meilleure. Une telle interférence ou orientation de la part de l’adulte ne peut que produire une génération de robots. On ne peut pas faire apprendre la musique, ni aucune autre chose d’ailleurs, à un enfant sans le transformer plus ou moins en un adulte privé de volonté. On forme alors un être qui accepte tout statu quo – une bonne chose pour une société qui a besoin de mornes bureaucrates, de boutiquiers et d’habitués des trains de banlieue –, une société qui, pour tout dire, repose sur les épaules rabougries du pauvre petit conformiste apeuré. »
Cette citation est tirée d’un ouvrage de référence en matière de pédagogie libertaire : Libres enfants de Summerhill, d’Alexander S. Neill. Elle nous invite à interroger en profondeur le sens de nos choix, notamment les choix dont les conséquences seront subies par d’autres, nos enfants…
Pourquoi voulons-nous à tout prix que nos enfants aient des « bonnes notes » à l’école ? Pourquoi les forçons-nous à aller à l’école d’ailleurs ? L’école est à la source du malaise social de nos sociétés modernes. Ce n’est pas à l’école que l’on apprend à gérer son trac et à cultiver son leadership, bien au contraire. L’école rend nos jeunes timides, tandis que la plupart des gens brillants s’en sont souvent affranchis. Ivan Illitch a pourtant démontré avec brio dans son ouvrage Une société sans école que l’éducation pouvait passer par d’autres pratiques que les institutions que nous connaissons – et encore plus maintenant qu’à son époque, à l’ère d’Internet et des MOOCs…
Pourquoi tentons-nous malgré tout de les orienter vers telle ou telle filière, tel ou tel cursus universitaire ? Certes, cela part d’une bonne intention : nous voulons certainement qu’ils « réussissent », c’est-à-dire qu’ils trouvent sans trop de difficultés un travail correctement payé afin de pouvoir faire face aux problèmes matériels de la vie. Mais eux, que veulent-ils vraiment ? Que décideraient-ils pour eux-mêmes si nous les formions à la liberté, plutôt que leur imposer une vie toute tracée ? Que voulions-nous vraiment, nous-mêmes, quand nous étions enfants ? Sommes-nous pleinement satisfaits de notre vie aujourd’hui ?
Dans ce monde sordide où nos vies s’organisent de plus en plus de façon mécanique, robotique, les trop rares plaisirs auxquels nous nous raccrochons sont souvent le fait d’actions hors système, non conventionnelles, dérangeantes, déroutantes, créatives, inattendues. Nous aimons les œuvres des vrais artistes, ces personnes qui sont prêtes à consacrer leur vie à réaliser leurs idées folles, à penser autrement, à nous provoquer, nous choquer, nous amuser… Que ce soit dans le cinéma, la littérature, la danse ou toute autre forme d’expression… L’art, l’absurde et la couleur mettent de la vie dans nos vies, c’est ce qui les rend tenables, pour ne pas dire appréciables… Alors pourquoi nous dirigeons-nous dans la direction exactement opposée lorsqu’il s’agit de faire des choix d’orientation personnelle ou professionnelle ? Surtout, pourquoi imposons-nous cela à nos enfants, qui ont encore toute leur vie, toute leur créativité, toutes leurs envies ? Les brisons-nous ainsi par jalousie, consciente ou inconsciente ? Comment pourra-t-on encore profiter de la vie dans un monde de robots ?
Sur la photo en illustration de l’article : l’un des personnages de la série d’anticipation Real Humans, qui met en scène des robots humanoïdes exploités par les humains.