Rhétorique

Voltaire et le verlan (aurait-il porté la casquette à l’envers ?)

François-Marie Arouet, dit Voltaire, écrivain et philosophe français, figure emblématique des Lumières (1694-1778)

Le verlan, procédé qui consiste à inverser toute la structure syllabique d’un terme (verlan veut justement dire « à l’envers »), est souvent interprété comme un saccage de la langue.

La parole, la maîtrise du discours, c’est le pouvoir. En renversant les mots, le verlan renverse symboliquement l’ordre en place, alors perçu comme le langage d’une contre-culture, rebelle et subversive.

C’est un mode d’expression typiquement associé au hip hop, et les textes de rap sont truffés de termes construits de la sorte. Le « jeune des cités » (allons-y à fond dans les clichés…) qui se réfugie dans cette forme d’expression se met donc implicitement en opposition avec la culture et l’enseignement que ses professeurs du secondaire et supérieur essayent de lui transmettre.

Pourtant, n’est pas le plus rebelle qui croit !

En cours de français, et en prévision du bac, ses professeurs lui font notamment lire des auteurs du XVIIIe siècle, dont Voltaire, entre autres… Or, « Voltaire », comme nous l’avons tous appris lors de ces mêmes cours de français, est un pseudonyme.

Pourquoi ce pseudonyme ? Que veut-il dire et d’où vient-il ?

Une interprétation célèbre fait de ce pseudo une anagramme du vrai nom de l’auteur, François-Marie AROUET, ou AROVELTI en latin, le U étant représenté en majuscule par une lettre semblable au V (l’anagramme repose sur une figure de style consistant à permuter les lettres d’un mot pour en composer un nouveau, ici A-R-O-V-E-L-T-I pour écrire V-O-L-T-A-I-R-E.)

Mais une autre interprétation, moins répandue, rappelle que les parents de Voltaire sont originaires du village de Airvault, à partir duquel Voltaire aurait donc construit son pseudonyme… en verlan ! (Airvault > vaultAir)

Loin d’être un saccage de la langue française, les modes d’expression alternatifs et marginalisés s’inspirent en réalité sans le savoir de jeux littéraires très sophistiqués, qui occupaient les élites et autres érudits de la période des Lumières…

Vous aussi exercez-vous régulièrement à parler en verlan !

Parler en verlan est un excellent exercice pour apprendre à manier la langue, faire travailler son esprit, sa réactivité et sa créativité. C’est une véritable gymnastique intellectuelle. C’est aussi un bon moyen de mémoriser certains mots techniques ou complexes, en jouant avec.

Lépar en lanvére est un lenxélé cicérex pour prendra à niéma la gueulan, reufé vaillé-tra son priesse, sa tivitéréac et sa tivitécréac. C’est une bleutavéri sticknagym elletulékinte. C’est sisso un bon yen-moi de zérimémo taincére ôme niktek ou plexcom, en ouanje veka.

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Donc… Ce petit mot qui irrite

« Donc » est comme un petit nuage dans le ciel bleu de vos discours… Il suffirait de le supprimer pour que tout soit parfait…

« L’illogisme irrite. Trop de logique ennuie. La vie échappe à la logique, et tout ce que la seule logique construit reste artificiel et contraint. Donc est un mot que doit ignorer le poète, et qui n’existe que dans l’esprit. »

Cette citation appelant à plus de poésie dans nos vies est d’André Gide (tirée de son Journal 1889-1939).

Le terme « donc » est un connecteur logique : ce qui signifie qu’il annonce une conclusion qui découle de propos préalablement énoncés. Même chose pour « alors ». Or, beaucoup font l’erreur de débuter spontanément leurs interventions par un retentissant « …Donc ! » ou un tout aussi tonitruant « …Alors », « …Alors bonjour », « …Alors voilà, je vais vous parler de… »

Comme l’observe André Gide, le « donc » est déjà assez ennuyant en tant qu’il est la marque d’un excès de logique. Mais utilisé de la sorte, il devient carrément illogique ! Et irritant…

Ces petits mots comme « donc » et « alors » se glissent partout, se substituent facilement à des « heu… » répétitifs et finissent par devenir des tics de langage. Attention, c’est contagieux ! Si la personne qui s’exprime avant vous place des « donc » ou des « alors » un peu partout, il est probable que vous en fassiez autant lorsque vous prendrez la parole. Sachez y être attentif chez les autres, pour mieux vous en prémunir.

Bien sûr, André Gide ne condamne pas tout à fait le terme en lui-même, mais ce qu’il implique : une tendance à la démonstration parfaite, parfaitement rigoureuse – tandis qu’il faudrait davantage oser des affirmations peut-être moins bien fondées, basées sur le ressenti, absurdes comme la vie, frisant la poésie… Un orateur doit parfois moins chercher à prouver qu’à enchanter

Poursuivez la lecture avec cet article : Ré-enchantez instantanément le quotidien grâce à la pratique de l’A-Nommeur !

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Rhétorique et pessimisme chez Schopenhauer

La rhétorique est l’art de la persuasion. Son statut est ambigu. Pratique héritée des philosophes de la Grèce antique, elle fascine autant qu’elle inspire la méfiance. Tout le monde convient en effet qu’il vaut mieux être convaincant plutôt que déplaisant, séduire plutôt que dégouter, susciter l’adhésion plutôt que le rejet. Mais peu de gens assumeraient de tromper ou manipuler les autres délibérément, et personne ne supporte de l’être. Nous avons généralement, dans le fond, un certain idéal de vérité.

Toutefois, la rhétorique n’est pas seulement l’apanage des menteurs et autres manipulateurs. Même quand on a raison, même lorsqu’on est persuadé de détenir la vérité, on peut avoir besoin de la rhétorique pour défendre son point de vue. Comme l’explique Schopenhauer dans L’art d’avoir toujours raison, la rhétorique a donc un double usage : de la part de nos contradicteurs, possibles menteurs ou manipulateurs, mais également de notre part à nous, pourfendeurs des illusions et faux-semblants !

Pour quiconque, en effet, la connaissance de ces techniques permet de les déceler chez ses adversaires. C’est pourquoi Schopenhauer déclare que la mission première des rhéteurs est« d’élaborer et d’analyser les stratagèmes de la malhonnêteté dans la controverse afin que, dans les débats réels, on puisse les reconnaître immédiatement et les réduire à néant ».

En retour, il faut tout autant oser utiliser ces stratagèmes malhonnêtes, afin d’instaurer l’équité dans le combat avec l’adversaire : « il faut même souvent y avoir recours soi-même pour battre l’adversaire à armes égales ». C’est au nom de la vérité qu’il faut parfois exagérer voire mentir un petit peu…

Dans un monde idéal, avoir raison serait peut-être suffisant pour l’emporter dans les controverses, « mais vu la mentalité des hommes, cela n’est pas suffisant en soi, et vu la faiblesse de leur entendement ce n’est pas absolument nécessaire ».

Quiconque a l’expérience des débats sait à quel point y est fait peu de cas de la vérité comme de la justesse des idées. Question d’orgueil, de vanité, quand ce n’est pas par pure et simple malhonnêteté, ou l’imbécile envie de provoquer pour provoquer : n’importe quelle position est défendue et maintenue, contre toute tentative de chercher sincèrement à se tourner vers la vérité.

Schopenhauer fonde donc sa justification de la rhétorique sur une forme de pessimisme anthropologique. Il semble même verser dans le relativisme, déclarant qu’il est peut-être impossible de déterminer si nous avons vraiment tort ou raison. Une fois rappelé que les stratagèmes rhétoriques sont indépendants de la vérité objective, et par conséquent que ceux-ci « peuvent aussi être utilisés quand on a objectivement tort », Schopenhauer ajoute dans une note de bas de page : « quant à savoir si c’est le cas, on n’a presque jamais de certitude à ce sujet »

Ainsi, que l’on ait tort ou que l’on ait raison, le plus important semble de s’en tenir au moins à une position, plutôt qu’aucune.

Le premier principe à retenir est donc qu’il faut défendre sa thèse coûte que coûte et ne jamais lâcher prise. Il faut être prêt à se livrer à un combat à mort, et faire fi de tout espoir de discussion raisonnable ou de quête commune de vérité avec les hommes trop sûrs d’eux, vaniteux et orgueilleux…

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