Psychologie

Le besoin de cohérence, ou comment manipuler les gens facilement…

Nous sommes tous soumis à des mécanismes psychologiques qui influent sur nos décisions. Le principe de cohérence est quelque chose que nous possédons tous. La vie en société induit une cohérence naturelle dans nos actes et décisions et est valorisée par cette même société.

En fait, la société ne pourrait pas tenir si aucun des individus qui la composent n’était pas un minimum cohérent. Et inversement : quelqu’un qui n’est pas « cohérent » ne pourrait simplement pas vivre en société. Il suffit d’imaginer un individu qui dit faire quelque chose, mais fait toujours son contraire… Un individu qui promet des choses, mais ne donne jamais rien de concret… La réaction logique après un temps est le rejet pur et simple de la personne.

C’est sur cette idée de fil conducteur des décisions que repose la technique de manipulation dit de « l’amorçage ». L’amorçage consiste à faire agir quelqu’un dans une certaine direction en omettant des détails ou en faisant croire à des avantages s’il prend la décision que nous voulons.

Un exemple tout simple : si nous voulons faire venir quelqu’un d’un peu radin à une soirée payante, il suffit d’omettre de lui dire qu’il faudra payer quelque chose… Une fois que sa décision de venir sera prise et qu’il sera en route, il pourra plus difficilement reculer par respect de cohérence dans ses prises de décisions en plus du coût effectif en temps et en effort.

De la même manière, il est possible de créer un « leurre » qui fera pencher la balance. Si on veut vraiment qu’une personne vienne à notre soirée, payante ou pas, on peut lui laisser entendre qu’il y aura telle ou telle personne qu’il ou elle apprécie tant… (son amoureux secret, telle nana super sexy, etc…). Tout l’art est de mentionner la présence de cette « guest star » sans la mettre en évidence plus que ça – et cela fera pencher la décision de la personne que nous souhaitons inviter. Évidemment, « l’appât » peut ne pas être invité, car ce qui compte est uniquement l’effet que l’annonce aura sur la cible… Une fois qu’elle est à la soirée, peu importe les raisons qui l’y ont poussée… Elle est là et c’est ce qui compte, a priori elle ne repartira pas aussitôt arrivée…

A chaque fois, comme la personne se sera mise en route grâce à notre amorçage, c’est par souci de cohérence qu’elle ira jusqu’au bout et nous rejoindra..

On peut étendre le principe à tout. Il faut amorcer une décision via des avantages apparent et une fois la décision prise réellement, le mécanisme de cohérence s’enclenchera… Malgré la virtualité de ces avantages, la cible persistera et se confortera par souci de suivi sa décision première…

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Comment influencer les autres lors d’une discussion de groupe ?

Que se passe-t-il dans le contexte d’un groupe de discussion, ou d’un débat à plusieurs ? Comment exercer au mieux sa capacité d’influence pour diffuser des idées politiques, ou une vision idéologique ?

La psychologue Geneviève Paicheler avait d’une certaine façon déjà dépassé le modèle de l’émetteur-récepteur. L’originalité de sa démarche consiste à situer les différentes théories explicatives de l’influence dans les contextes qui ont rendu possible leur formulation. Pour elle, « la référence aux normes détermine la relation à autrui. Les comportements d’interaction sont des signes dénués de sens si on ne les préfère pas aux principes sociaux de leur organisation. »

Voici l’expérience qu’elle mit en œuvre dans les années 70 : elle interroge chaque participant sur ses opinions politiques, puis les engage dans un débat au sein d’un groupe. Parmi eux, un compère qui affirmera des positions très tranchées, tantôt « de gauche » ou « de droite » selon les groupes. Puis elles interrogent à nouveau les participants, pour voir si leurs opinions ont été modifiées, et si oui dans quelle mesure.

Le contexte de l’expérience est donc celui des années 70 et un thème majeur de l’époque est le féminisme. Paicheler détaille : « Si l’on considère les attitudes dominantes envers les femmes en ce début des années soixante dix, elles étaient très modérément en faveur d’un changement féministe. Par rapport à ces attitudes dominantes, on pouvait distinguer deux grands pôles d’attitudes minoritaires : le pôle antiféministe, réactionnaire, donc ‘anti-normé’, et le pôle féministe, représentant une position d’avant-garde, innovateur, ‘normé’, caractérisé par l’accentuation de l’évolution d’une tendance générale. »

Prêtez bien attention aux termes de « normés » et « anti-normés »… Ils ne désignent pas exactement une position politique fixe, mais sont redéfinis selon l’époque, et au sein d’un groupe donné selon la tendance majoritaire du milieu, elle-même subordonnée à la tendance sociale générale – « Ce n’est pas l’extrémisme ou l’implication en tant que tels qui constituent des pôles d’influence, mais c’est leur signification sociale qui leur confère un statut. » Le but de l’expérience est alors de comparer l’impact de l’influence exercée par les normés d’une part, et les anti-normés d’autre part, dans le cadre d’une interaction entre plusieurs participants et non en strict face-à-face.

Les questions pour cerner les positions initiales des participants sont les suivantes :

  1. Après une journée de travail, c’est à la femme que reviennent les tâches ménagères, ce n’est pas le rôle de l’homme.
  2. L’infidélité de la femme est plus grave que celle de l’homme.
  3. L’école doit fournir aux adolescents une information sur la contraception.

Rappelez-vous, nous sommes au début des années 70… Les participants doivent noter chaque proposition de -3 à 3 selon qu’ils sont totalement en désaccord ou en total accord, zéro indiquant une position neutre ou absence d’avis. Ces mêmes questions sont ensuite reposées aux participants à l’issu de leur discussion-débat au sein d’un groupe.

Que se passe-t-il lorsqu’un compère est présent dans le groupe ? S’il est féministe, « normé », son influence est très forte : dans 95% des cas les autres participants finissent par rallier son point de vue extrême. Dans les groupes où le compère affirme une position anti-féministe extrême, on observe au contraire des phénomènes de contre-influence. La clarté des arguments, la cohérence d’un système de pensée ou même une attitude de fermeté ne sont pas suffisantes en tant que telles. La position anti-normée aurait donc moins d’influence de par sa nature même lorsqu’elle est trop radicalement revendiquée.

Paicheler observe cependant le phénomène suivant : durant la discussion, et même s’il n’y a pas accord avec le compère, les participants normés modifient leur attitude en tempérant leur féminisme. Néanmoins, après la discussion, l’interaction aboutit au fait que chacun reste sur son quant-à-soi. Vous pouvez donc avoir le sentiment de l’emporter face à un contradicteur dans un débat, mais celui-ci ne sera pas autant convaincu. Il baissera les armes pour vous faire plaisir, mais n’en pensera pas moins. Effet nul. L’orateur brillant ou éloquent n’est pas de fait un agent influent. Le débat contradictoire n’est pas un contexte pertinent pour exercer son influence. Il faut s’échapper du débat et miser sur l’écoute, l’amicalité et une feinte docilité pour mieux guider votre interlocuteur, en remettant progressivement en cause ses positions par des questions interrogeant subtilement leurs fondations. Socrate et la maïeutique.

Notons un autre aspect significatif relevé par l’expérience : dans les groupes mixtes à compère féministe, le compère féminin exerce plus d’influence durant la discussion qu’un compère masculin, alors que ce dernier produit des changements plus stables. Si le compère est antiféministe, son influence est très différente selon qu’il est masculin ou féminin. Féminin, il polarise paradoxalement le groupe contre lui, suscite une réaction d’opposition. Masculin, il exerce une légère influence, modérant des attitudes quelque peu féministes. Son attitude réactionnaire surprend moins et rencontre moins de résistance.

Ce dernier aspect est à prendre en compte dans une bonne stratégie de communication d’influence : les émetteurs et relais d’un message peuvent influer sur celui-ci selon leur âge, leur sexe, leur religion, leur catégorie socio-professionnelle… Et bien entendu leurs précédentes déclarations dont les récepteurs auraient pu prendre connaissance. Nous touchons ici directement à l’ethos.

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Les 4 piliers fondamentaux de la communication d’influence

L’influenceur n’a pas spécialement besoin d’être un bon orateur. Au contraire, un orateur trop brillant ou éloquent peut écraser ses interlocuteurs, passer pour insupportable à leurs yeux, et n’obtenir d’eux qu’un accord formel temporaire le temps de la discussion.

La confiance, au cœur de la communication d’influence

Pour s’exercer convenablement, l’influence ne peut prendre pour cadre un débat contradictoire. L’influenceur n’est pas un contradicteur, ni même un véritable interlocuteur : c’est d’abord un écouteur. C’est par l’écoute que l’on fait venir l’autre à soi, tout en lui donnant le sentiment d’aller vers lui, C’est en buvant ses paroles qu’on le vide, pour mieux le remplir du fluide de nos propres idées.

L’influence ne fonctionne que si règne la confiance. Si la capacité à influencer d’un individu ou d’un groupe est utilisée dans le but de tromper ceux qui en sont la cible, elle finit bien vite par s’étioler.

La véritable influence est invisible

Plus important encore : l’influence fonctionne essentiellement lorsqu’elle n’est pas perçue comme telle. On ne peut véritablement parler d’influence que lorsque le sujet cible est persuadé d’agir sur la base de sa volonté propre. Une bonne communication d’influence est donc de fait une communication subtile, invisible, indétectable. Toute forme d’insistance risque de provoquer une résistance. Ce que l’on nomme réactance en psychologie correspond précisément au rejet d’une tentative d’influence, qui survient lorsque celle-ci est identifiée ou soupçonnée. Le meilleur vecteur d’influence demeure la relation interindividuelle directe, où l’émetteur ne trahit aucun motif quant à l’approbation du récepteur.

Storytelling et communication d’influence

La confection du contenu d’influence doit exploiter les principes de la communication narrative. Le principe du storytelling est de transformer le message en une histoire qui se raconte et circule de conteur en conteur. L’histoire est celle d’un personnage, soit à admirer, soit auquel il est possible de s’identifier. Le personnage principal a un nom. Il peut rencontrer d’autres personnages : le destinateur, qui lui confie une mission, les opposants, qui l’empêchent de mener à bien sa mission… L’histoire s’organise en étapes clefs : situation initiale, incident déclencheur, engagement dans une quête, succession d’épreuves, retour à la raison et appel à l’action. L’histoire doit avoir une morale, au moins implicite, sinon elle ne dit rien.

Cette histoire doit être racontée par un locuteur initial. L’histoire qu’il raconte peut être sa propre histoire : ce locuteur affirme de fait une position de leader. Les rouages de la matrice rhétorique sont enclenchés. La capacité à influencer dépend alors de la bonne gestion du rapport entre l’ethos, le logos, le pathos, et le topos. Tous ces éléments fondamentaux du discours se réorganisent et se redéfinissent réciproquement. Aucun ne doit être négligé au risque de manquer la possibilité même de communiquer.

Influencer, est-ce manipuler ?

Faut-il condamner la communication d’influence, n’y voir qu’une forme de manipulation sournoise ? Tout dépend l’usage que nous en faisons. Il y a manipulation lorsque l’influence est exercée pour tromper délibérément autrui, l’induire en erreur, abuser de son illusion de liberté pour mieux l’emprisonner. Mais l’influence peut tout autant servir de beaux projets, de nobles idées. A chacun d’évaluer dans quelle mesure ses opinions sont fondées, et dans quelle mesure il se trouve lui-même influencé.

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Communication d’influence : diffuser le texte, contrôler le contexte

Le lieu, ou plus largement le « contexte » de diffusion d’un message, participe lui aussi du message à la fois en le redéfinissant tout en étant redéfini par lui. Un exemple concret très basique, imaginez : vous avez préparé de magnifiques slides PowerPoint pour une conférence, mais, manque de chance, pas d’ordinateur sur place. Ou une panne d’électricité, ou encore l’impossibilité de plonger la salle dans une obscurité suffisante pour profiter correctement de la projection… Les caractéristiques du lieu influeront donc directement sur le message tel que vous souhaitiez le délivrer. Ici, les slides seront illisibles, indéchiffrables voire inutilisables, quelles que soient leur valeur et leur pertinence. Mais la prise en compte de l’environnement ou du contexte peut bien sûr aller bien au-delà de ces quelques difficultés matérielles…

L’environnement ou le contexte ne désigne pas seulement le lieu physique et concret de rencontre entre un orateur et son public – une salle, un amphithéâtre… Le contexte renvoie plus globalement à la notion de contexte communicationnel. C’est une notion fondamentale dans le travail d’influence. Le contexte n’influe pas seulement sur la réception d’un message : il peut influer sur le message lui-même.

Commençons par un exemple quelque peu trivial : un homme entre dans un magasin, une boulangerie, et demande « deux baguettes ». Quelle image vous vient immédiatement à l’esprit ? Probablement celle du bon pain cuit. Le mot « baguette » semble n’avoir aucune ambiguïté possible. Pourtant… Un homme entre dans un magasin, mais cette fois-ci c’est un magasin d’instruments de musique, et même pourquoi pas spécialisé dans les percussions et batteries – l’homme rentre donc dans le magasin et demande « deux baguettes »… La même expression qui semblait ne renvoyer qu’à un seul signifié prend ici un tout autre sens. Continuons. Un homme installé dans un restaurant asiatique demande « deux baguettes »… L’exemple est trivial, mais il nous montre qu’un mot apparemment sans ambiguïté possible peut en réalité être interprété de bien nombreuses façons, très différentes selon le contexte.

Exemple dramatique : le film L’honneur d’un capitaine, réalisé par Pierre Schoendoerffer et sorti en 1982, met en scène un procès articulé autour de l’interprétation d’une petite phrase qui aurait pu rester anodine. Lors de la guerre d’Algérie, trois fellaghas sont faits prisonniers en haut d’une montagne par des soldats français. Ceux-ci en rendent compte par radio à leur supérieur, qui ordonne alors : « descendez-les ! » Qu’entendait exactement le capitaine, qui n’est malheureusement plus là pour s’expliquer, mort au combat ? Une interprétation possible : descendez-les de la montagne jusqu’au poste de commandement afin de les interroger et statuer sur leurs cas… Mais les soldats, d’abord interloqués par l’ordre, finissent par s’y résoudre, et exécutent les fellaghas d’une balle dans la tête. Ils les « descendent », selon l’autre sens de ce terme pouvant également signifier « tuer, mettre à terre ».

Ici, c’est le contexte physique d’émission et réception du message qui en a à chaque fois redéfini les termes. Le contexte linguistique a lui aussi toute son importance. Prenez le mot : « couvent ». Lisez-le à haute voix. Une nouvelle fois : « couvent ». Vous l’avez probablement lu /kuvɑ̃/, nom masculin signifiant « la maison dans laquelle des religieuses vivent en commun ». Considérez maintenant cette phrase, intégrant la même combinaison de lettres : « Les poules couvent leurs œufs ». Cette fois vous avez lu /kuv/, sans le /ɑ̃/, afin de signifier l’utilisation du verbe « couver » à la troisième personne du pluriel de l’indicatif présent. Et la signification en est évidemment fort différente.

Le contexte redéfinit donc la charge sémantique de toute forme de signe. Et pas seulement les signes verbaux ou linguistiques. Par exemple, les couleurs ont elles aussi un sens. Imaginez une affiche rouge sur laquelle serait inscrit « Amour Toujours », pourquoi pas à l’approche de la Saint Valentin. Le rouge apparaît ici comme la couleur de la passion. Le même rouge, la même affiche, mais sur laquelle est cette fois inscrit : « Non à la guerre ! » au lendemain d’un bombardement. Cette fois la passion est perçue négativement, le rouge est celui des atrocités, de la folie meurtrière, du sang versé. Il est aussi celui de l’interdit, du danger, du rejet. Une affiche bleue ? « Vos vacances au soleil, un ciel dégagé toute l’année », ou « Vos vacances tombent à l’eau, inondations dans toute la région » ?

En matière de stratégie d’influence, la mise sous tension ou encore l’effet de contraste sont de bons exemples de techniques directement liées au contrôle du contexte de communication.

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Manipuler avec la technique du « Yes Set », ou comment utiliser l’esprit de facilité…

La technique du Yes Set se base sur un principe simple, celui du désamorçage de la négativité de la cible. Dans le cadre d’une discussion, surtout au tout début, le fait de répondre positivement à plusieurs questions facilite une réponse positive pour les questions suivantes. En d’autres mots, le seul fait de répondre « Oui » à plusieurs choses entraînera plus facilement un « Oui » à une question dont la réponse aurait peut-être été « Non » sans cette forme de conditionnement…

Comment mettre en pratique la technique du Yes Set ?

Cette technique est souvent utilisée en marketing. Pour prendre un exemple concret, il suffit de d’imaginer un vendeur de voitures… Le vendeur reçoit donc son client, et lui fait faire un tour extérieur et intérieur d’une voiture… Tout au long de sa démonstration, le vendeur pose au client des questions simples, en apparence anodine. Bien sûr, les questions sont liées à l’objet à vendre, et sont posées l’air de rien par le vendeur tandis qu’il semble décrire progressivement la voiture. Ce sont des questions vraiment basiques telles que « Vous voyez ? » ou « Vous êtes d’accord ? » qui ne laissent pas vraiment le choix : le but est simplement de faire acquiescer régulièrement le client. A la fin, le vendeur demande si la voiture l’intéresse, voir si le client veut l’acheter ; si le vendeur s’y est bien pris, ce qui viendra immédiatement en tête du client sera un « Oui » profond et quasi involontaire.

Il faut vraiment avoir conscience de cette technique de manipulation pour trouver la force de dire non. Sinon, nous risquons de dire « Oui » spontanément, sans trop y réfléchir… Et le seul fait d’avoir approuvé risque de représenter une forme d’amorçage, nous chercherons alors à être cohérent… Jusqu’à l’acte d’achat… (voir à ce propos : la technique de manipulation par amorçage !)

Bien sûr l’exemple du vendeur n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il est naturellement possible de transposer le principe du Yes Set à tous les domaines où la manipulation verbale est applicable…

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Faire « voir autrement », ou l’art d’influencer grâce à la technique du recadrage

En matière de stratégie d’influence, il est fondamental de travailler sur le contrôle du contexte et la redéfinition situationnelle. Dans cette perspective, l’un des outils les plus puissants est le recadrage : technique utilisée spontanément par les meilleurs vendeurs dans le domaine commercial, elle est remise au goût du jour dans une perspective thérapeutique et de développement personnel par les tenants de la Programmation Neurolinguistique (PNL).

Le recadrage désigne la possibilité de « faire voir autrement », de considérer un autre point de vue, et finalement envisager ce qui nous semblait par exemple être un problème comme quelque chose de positif, ou l’inverse. En d’autres termes, faire apparaître ce qui nous préoccupe sous une nouvelle lumière, dans un nouveau cadre, afin de mieux en prendre conscience et se positionner ou se repositionner par rapport à lui. L’effet de contraste est une forme de recadrage. La mise sous tension est une forme de recadrage. Ce sont cependant des recadrages pernicieux qui ont surtout pour but d’altérer notre perception d’une situation en court-circuitant notre raison. Utilisé avec éthique, un bon recadrage a pour but de mieux nous faire appréhender une situation, de nous inviter à mieux exercer notre raison.

Imaginons un vendeur d’ordinateurs face à un client hésitant entre deux modèles semblant surtout se différencier par leur prix. Le client sera probablement porté à opter pour le modèle le moins cher. Pourtant, le vendeur peut recadrer cette inclination portant sur la dépense immédiate, en l’inscrivant dans la durée : « Cet ordinateur est peut-être plus cher à l’achat, mais est de meilleure qualité. Préférez-vous dépenser 1000 euros aujourd’hui et devoir débourser de nouveau cette somme dans un an, ou dépenser 1500 pour une machine que vous pourrez garder trois ans ? » Malgré le coût peut-être difficile à assumer pour ce client, un rapide calcul économique l’oblige à reconsidérer l’option de l’ordinateur le plus cher.

Précisons la distinction entre recadrage de contexte et recadrage de sens établie par Richard Bandler et John Grinder. Le recadrage de contexte revient à envisager dans quel contexte un aspect ou élément apparemment problématique pourrait avoir de la valeur. Le recadrage de sens consiste à se demander si cet aspect ou élément problématique pourrait avoir de la valeur dans un cadre plus large. Imaginez un tableau. Vous pouvez lui trouver tous les cadres possibles, de tous les styles possibles. Mais il arrive parfois qu’aucun ne lui convient car ce n’est pas un problème de style mais d’abord de dimensions… Un cadre à l’encadrure trop étroite et aux bordures trop larges restreint forcément la surface du tableau exposé, faisant apparaître tel détail comme problématique sans permettre la prise en considération de sa véritable valeur dans un ensemble plus vaste.

Par certains aspects, la retorsio argumenti (stratagème n°26 de Schopenhauer dans L’art d’avoir toujours raison) correspond à un recadrage de contexte. Il en explique ainsi le principe : « Une technique brillante est la retorsio argumenti, lorsque l’argument que notre contradicteur veut utiliser à ses fins peut être encore meilleur si on le retourne contre lui. Par exemple, il dit : ‘C’est un enfant, il faut être indulgent avec lui’, retorsio : ‘C’est justement parce que c’est un enfant qu’il faut le châtier pour qu’il ne s’encroûte pas dans ses mauvaises habitudes.’ »

L’économiste Frédéric Bastiat avait cette belle formule, selon laquelle il y a en économie « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas » qui peut correspondre à un recadrage de sens. Son argumentation vise la législation et la politique en général. Une loi peut sembler justifiée à un moment donné, notamment parce que sa charge symbolique vient apaiser l’esprit vindicatif du peuple, et son but déclaré vient corriger une situation problématique – du moins présentée comme telle par un habile jeu d’effet de contraste et de mise sous tension… Mais comme l’explique Bastiat, une loi n’engendre pas seulement un effet, mais « une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit. » Et les conséquences à plus long terme, insoupçonnées, peuvent se révéler désastreuses. Le système politique repose sur un cadre très étroit au niveau individuel. Les citoyens, dans leur grande majorité, ignorent de façon quasi-systématique ce qu’ils ne voient pas au profit de ce qu’ils voient – ce qui tend à favoriser un certain interventionnisme étatique, que ce soit dans le sens de lois restrictives au nom de la prévention et de la sécurité, ou dans une perspective d’imposition et de taxation au nom de la redistribution et de la création d’emploi.

Le recadrage peut donc s’appliquer à des niveaux très divers, dans un simple rapport inter-individuel ou dans l’analyse de certains enjeux géopolitiques. Chacune de nos opinions peut être recadrée, et ce que nous tenons pour des certitudes se révèle n’être bien souvent qu’un ensemble de croyances mal fondées ou limitantes. Ce que nous pensons être en phase avec « la » réalité est surtout en phase avec « notre » vision souvent trop étroite – étriquée – de la réalité. Une stratégie d’influence savamment construite ne s’assigne pas seulement pour but de surfer sur l’opinion, mais bien d’interroger et recadrer l’ensemble des opinions. C’est là la vraie puissance de l’influence.

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